LA LICENCE EUROPEENNE
À l’image de la réforme du brevet européen, qui donnera le brevet unitaire européen, la licence de droits sur les œuvres musicales est le nouvel objet d’attention de la Commission européenne. Par un communiqué de presse du 11 juillet 2012, elle a présenté une proposition de directive européenne qui portera sur la gestion collective des droits sur les œuvres musicales par les sociétés de gestion. La directive continuera le mouvement d’ouverture à la concurrence des sociétés de gestion lancé en 2005 par la Commission européenne.
La licence européenne touche à des éléments à enjeux très importants. Cette licence européenne, portant sur les œuvres musicales, est accompagnée par un autre projet qui porte sur les œuvres audiovisuelles et cinématographiques. Ce dernier est infiniment plus complexe. Avec une licence européenne, les opérateurs du marché verront leur travail facilité, car ils n’auront plus à faire face à la multitude des organisations nationales de gestion collective présentes dans l’Union européenne.
Les prestataires de services auront à s’adresser qu’à une seule société de gestion collective pour pouvoir agir sur tout le marché. Cette licence européenne a donc pour but de promouvoir la transparence, à améliorer la gouvernance des sociétés de gestion collective et faire intervenir, dans une certaine mesure, le droit de la concurrence. Encourager et faciliter la concession de licences de droits d’auteur multi territoriales pour l’utilisation d’œuvres musicales sur le territoire de l’Union européenne est aussi recherché. Cette licence européenne présente certes des atouts, mais sa mise en œuvre est plus compliquée qu’elle n’y paraît.
La directive a pour but affiché de créer une nouvelle réglementation européenne relative à l’octroi de licences. La gestion collective des droits sur les œuvres musicales représente des enjeux économiques pour le moins importants, raison pour laquelle la Commission invite aujourd’hui à légiférer en la matière. La licence européenne permettra, sous certaines conditions, l’octroi de licences aux prestataires de services qui seront valables pour tout le territoire de l’Union. Le mécanisme actionné par la Commission est bien connu maintenant : elle s’attaque ici à un manque de liberté de circulation sur le marché unique et à une concurrence qui est restreinte de par les positions dominantes de certaines sociétés de gestion collective.
Dès le mois d’avril 2011, la Commission indiquait déjà dans son « Acte pour le marché unique I » qu’il fallait se pencher sur la question. Elle affirmait « qu’à l'ère de l'internet, la gestion collective doit pouvoir évoluer vers des modèles européens qui facilitent les licences couvrant plusieurs territoires pour une multitude de services en ligne ». « L’Acte pour le marché unique II » pris en octobre 2012 reprend évidemment la déclaration, qui avait donc pris forme quelques mois auparavant.
Pourtant, les sociétés de gestion collective ont développé, depuis l’ouverture à la concurrence de 2005, des alternatives pour étendre autant que possible les licences qu’elles proposent. En face de ces essais, la Commission relève dans son communiqué de presse que « les prestataires de services en ligne souhaitent généralement pouvoir couvrir une multitude de territoires et proposer un catalogue d'œuvres très fourni, sans compter qu'ils sont souvent désireux de tester de nouveaux modèles commerciaux ».
La Commission semble inciter les sociétés de gestion collective, par cette nouvelle directive, à s’adapter aux exigences des nouvelles technologies. Car c’est bien ce qui est visé par la Commission ici : l’accès en ligne aux œuvres musicales s’est généralisé posant régulièrement le problème des droits et de l’obtention des licences d’exploitation.
En résumé, la Commission tente, dans sa proposition, un équilibre entre trois parties différentes, les ayants droits, les prestataires de services et entre les deux, les sociétés de gestion qui servent, selon elle, « d’intermédiaire entre les titulaires de droits et les prestataires de services qui souhaitent utiliser leurs œuvres ».
Les prestataires de services sont d’ailleurs des opérateurs économiques au sens du droit de l’Union européenne, c'est-à-dire des entités exerçant une activité de nature économique et fournissant des biens et des services sur le marché, quel que soit son statut juridique et son mode de financement. Ce statut en fait des acteurs du marché unique et les soumet aux règles de libre concurrence, notamment à la libre circulation des marchandises et des services, en dépit des limites frontalières. Cette soumission explique ainsi leur volonté de trouver des modèles économiques innovants.
Pour la même raison que les prestataires de services, c'est-à-dire la qualité d’opérateur économique, la Commission cherche à étendre la libre concurrence aux sociétés de gestion collective depuis 2005. Quoi qu’il en soit, l’activité de ces sociétés réside dans la gestion des droits sur les œuvres de façon générale et sur l’octroi de licence d’exploitation et c’est sur cette base que la Commission a construit sa proposition de directive.
Le problème qui se pose porte sur l’adaptabilité de la licence européenne face à l’articulation exposée, à savoir les relations entretenues par les sociétés de gestion avec les prestataires et les ayants droit.
Au travers des travaux préparatoires de la directive mais également de l’actualité, il apparait que la volonté d’améliorer la concurrence entre les sociétés de gestion pousse la Commission dans son entreprise (I) qui tente de répondre aux enjeux actuels (II).
I - La libre concurrence dans la proposition de directive relative à la licence européenne
La Commission relève dans son communiqué que les prestataires de services évoluent rapidement avec les nouvelles technologies et proposent des accès aux œuvres variés et évolutifs. A l’inverse estime-t-elle que le système de la licence n’a pas évolué aussi rapidement et ne répond de façon assez satisfaisante à leurs exigences. La recherche de l’adaptabilité aux nouvelles technologies (A) a conduit la Commission européenne à proposer une modification du système actuel (B).
A - L'adaptabilité aux nouvelles technologies
Dès de début de son communiqué du 11 juillet 2012, la Commission annonce : « [qu’elle] a proposé […] des mesures visant à moderniser les sociétés de gestion collective de droits d'auteur et à les inciter à renforcer leur transparence et leur efficacité ». Les nouvelles technologies rendent très accessibles les œuvres musicales, mais également littéraires et artistiques, d’où l’importance de mettre en place un mécanisme de perception des droits adaptés.
Comme pour le brevet unitaire européen, la licence européenne telle qu’elle est prévue par la proposition de directive européenne, permettra l’obtention des licences via un guichet unique, mais qui sera valable sur tout le territoire de l’Union européenne. Bien qu’il existe déjà des partenariats entre les sociétés de gestion collective et aussi avec certaines maisons de disques et les prestataires de services, la Commission semble vouloir accentuer le mouvement. La licence européenne de droits sur les œuvres musicales sera donc octroyée sans considération des frontières au sein de l’Union.
En effet, les prestataires de services doivent aujourd’hui faire des demandes de licence dans tous les pays où ils développent leurs activités et, en plus, doivent faire autant de demandes qu’il y a de répertoires, chaque société de gestion ayant son répertoire. Les sociétés de gestion collective d’envergure peuvent généralement négocier des accords globaux pour proposer un répertoire le plus large possible qu’elles pourront ensuite exporter sur tout le territoire de l’Union. Il n’en reste pas moins que les prestataires de services négocient toujours dans chaque pays l’octroi des licences.
La Commission propose finalement de modifier l’état des choses en proposant la création de licence qui auront valeur sur tout le territoire de l’Union. Il s’agit d’une modification en profondeur qui devrait permettre selon elle une meilleure perception et, en conséquence, une meilleure redistribution.
B - Une modification du système actuel estimée nécessaire par la Commission
Pour rappel, le concept de licence de droits aujourd’hui recouvre en réalité plusieurs types de licences. Il existe différents niveaux de protection intermédiaires garantissant plus ou moins la protection des droits des artistes allant de l’œuvre libre de droit à la licence proposée par les sociétés de gestion collectives des droits. Il existe également des œuvres dites indisponibles qui, alors, échappent au processus. Le choix entre l’une ou l’autre forme de licence répond à des facteurs variés qui ne dépendent moins du droit que de choix personnels ou même commerciaux.
Quel que soit le modèle choisi, la Commission souligne tout de même que « la gestion collective des droits est également importante pour l'attribution de licences aux prestataires de services de musique en ligne ». Les sociétés de gestion collective attribuent des licences aux prestataires de services d’une part et reversent, d’autre part, les droits ainsi perçus aux titulaires de droits, c'est-à-dire les artistes : les auteurs, les compositeurs, les interprètes ou encore les producteurs.
La Commission ne remet d’ailleurs pas en cause ce point de fonctionnement. La directive s’en inspire même et ses objectifs affichés, pour les sociétés de gestion collective, portent finalement sur des principes généraux du droit de l’Union européenne, c'est-à-dire la transparence et de gestion.
De plus, la question se pose dans la doctrine de savoir si la licence européenne effacera la possibilité de recourir à la licence libre ou la licence de libre diffusion. Il serait logique que la directive soit à interpréter de façon libérale : puisqu’elle vise à améliorer l’adaptation aux nouvelles technologies et que ce type de licences a pris de l’importance précisément avec les nouvelles technologies, il est difficile de déduire que la directive en sonne le glas.
Malgré l’enthousiasme affiché de la Commission dans son communiqué de presse annonçant la directive, cette dernière pose un certain nombre de problèmes qu’il faudra résoudre avant sa mise en œuvre et que la pratique ne manquera pas de marquer.
II - Une réponse aux enjeux actuels
Les sociétés de gestion collective ont pris position quant à la proposition de directive relative à l’octroi de licence de droits sur les œuvres musicales et c’est légitime : leur modèle économique sera sans doute bousculé par la directive et les forces en présence ne sont pas négligeables, comme a pu le montrer l’actualité. Des défis économiques en jeu (A) découle une construction de la directive qui opère un nécessaire équilibre (B).
A - Les défis économiques en jeu
Il serait faux de dire que les sociétés de gestion collective des droits n’ont pas déjà pris conscience des implications économiques qui découlent de l’évolution de l’accès aux œuvres, notamment musicales. En effet, les accès en ligne à ces œuvres, comme il a été exposé précédemment, a bousculé les choses et son évolution n’est pas terminée.
Parmi les solutions alternatives, déjà mentionnées, figure, par exemple, la licence globale proposée notamment par la SPEDIDAM (la Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes). Avant même l’ouverture à la concurrence, cette proposition visait à mettre en place une redevance plus générale liée à une redistribution faite en fonction du nombre de téléchargements.
Néanmoins, cet exemple est surtout intéressant ici de par le traitement médiatique qui en était fait. Même si elle avait pu présenter des intérêts à l’époque, la licence globale serait d’une gestion trop complexe pour un territoire aussi vaste et ouvert que l’Union européenne. La Commission ne retient d’ailleurs absolument pas ce modèle dans sa proposition de directive. Un tel modèle de licence n’aurait sans doute pas non plus favorisé la concurrence comme le souhaite la Commission, puisqu’il repose sur le principe d’une redevance unique.
L’impact économique de la gestion collective des droits est également important d’un tout autre point de vue. L’actualité récente a montré que les forces en jeu ne sont pas des moindres et pas seulement du côté des prestataires de services, comme Youtube, pour les prestataires, ou Universal, pour les titulaires de droits.
Autre exemple fourni par la Cour de cassation elle-même, l’arrêt du 25 septembre 2012 trahit bien l’enjeu : la Cour avait condamné la société propriétaire de l’ancien site Radioblog à près de 1 million d’Euros de dommages et intérêts. Il s’agissait de réparer l’utilisation massive de musique sans avoir payé de licence. Malgré son existence fugace, le site avait généré de nombreuses visites.
Un autre enjeu entre en ligne de compte qui est lié sans aucun doute aux aspects économiques. Il s’agit bien entendu du piratage, particulièrement facilité par l’accès en ligne aux œuvres musicales et aussi littéraires. Pour autant, la proposition de directive ne le mentionne quasiment pas.
B - Une directive en équilibre
C’est seulement au vingt-quatrième considérant que la proposition de directive comporte mention du téléchargement illégal sans y revenir ensuite une seule fois. La bonne gouvernance prônée par la Commission ne pourra semble-t-il se faire pleinement sans une lutte efficace contre le piratage des œuvres en ligne. Il semble qu’il faille en déduire d’ailleurs que la Commission continue à s’en remettre aux autorités nationales en la matière, tel que la Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet (la HADOPI) après que le Parlement européen ait rejeté en juillet 2012 le traité ACTA.
Quoi qu’il en soit, la Commission annonce dans son communiqué poursuivre deux objectifs principaux qui lui servent également d’arguments au soutien de sa proposition de directive : la transparence et une meilleure gouvernance pour les sociétés de gestion collective.
La transparence n’est pas fondamentalement une innovation ni pour le droit de l’Union européenne, ni pour le droit interne. Ainsi, l’article R 321-2 du Code de propriété intellectuelle oblige déjà les sociétés de gestion collective à assurer la publicité du mode de répartition des droits : « tout associé peut, à tout moment, demander à la société de lui adresser : […] 2° Un tableau retraçant sur une période de cinq ans le montant annuel des sommes perçues et réparties ainsi que des prélèvements pour frais de gestion et des autres prélèvements ; 3° Un document décrivant les règles de répartition applicables ; 4° Le produit des droits lui revenant au cours des douze derniers mois, résultant des contrats conclus avec les utilisateurs, et la manière dont ce produit est déterminé ».
Finalement, en ce qui concerne la gouvernance, la proposition de directive lui consacre tout un titre II intitulé « Sociétés de gestion collective ».
Ce dernier porte sur leurs règles d’organisation et de transparence, la Commission liant finalement les deux. Une analyse un peu trop rapide pousserait à y voir la création d’un nouveau type de société européenne ad hoc mais dans le détail du texte, les auteurs ont bien pris soin de préciser que le texte s’appliquerait à tous les types de sociétés. De fait, le titre aura l’avantage de lisser les régimes des sociétés au sein de l’Union européenne en portant sur des sujets divers comme les règles de gestion financière ou sur des principes plus généraux de non-discrimination ou de négociation de bonne foi.
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Sources
- Arrêt du 25 septembre 2012 de la Cour de cassation : www.legalis.net
- Code de la propriété intellectuelle : www.legifrance.gouv.fr
- Communiqué du 11 juillet 2012 de la Commission européenne sur la proposition de directive relative à la licence européenne : europa.eu