LA QUALIFICATION DE CONCURRENCE DÉLOYALE APPLIQUEE A l’ECONOMIE DE PARTAGE

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/ Avril 2021 /

À l’heure où l’économie de partage prend une place considérable dans la vie des consommateurs, il est nécessaire de s’interroger sur l’application des règles de concurrence à ces nouvelles industries.

La libre concurrence permet d’avoir une économie saine et vigoureuse au sein d’un marché commun. Cette liberté entraîne une compétition de nature à satisfaire, à la fois, les besoins des consommateurs et les opérateurs économiques. Cependant, cette liberté ne peut être totale et est donc assortie de règles que les entreprises se doivent de respecter.

Le droit de la libre concurrence est un ensemble de règles tendant à ordonner une compétition économique fondée sur des échanges de biens et de services.

Ce droit est un des piliers du droit communautaire, et répond notamment à l’objectif de libre circulation des produits et capitaux au sein de la Communauté européenne, tel qu’ont pu le prévoir les traités initiaux.

En France, les premières lois à réguler la concurrence dans le commerce, tel que nous le prévoyons aujourd’hui, sont les lois des 2 et 17 mars 1791, affirmant le principe de liberté du commerce et de l’industrie.


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En droit européen et français (Art.1240 du Code civil), la concurrence est considérée comme un moyen et non comme une finalité en soi. C’est pourquoi tout ce qui nuit à la libre concurrence ne sera pas forcement interdit.

En effet, si la concurrence peut être bénéfique pour un secteur d’activité, notamment pour permettre une diversification de l’offre et éviter les monopoles, la libre concurrence pourra être sacrifiée s’il existe un autre moyen de satisfaire la collectivité, c’est ce que l’on appelle les mécanismes d’exemption.

Les pratiques considérées comme anticoncurrentielles pouvant faire l’objet d’une sanction sont principalement les ententes anticoncurrentielles et les abus de positions dominantes.

Toutefois, certains ordres juridiques nationaux, comme la France et l’Allemagne, prohibent également les comportements déloyaux. Il s’agit de s’intéresser directement aux comportements des opérateurs indépendamment de la notion de « marché ».

En droit français, les comportements déloyaux sont sanctionnés sur le fondement de la responsabilité civile (Art 1240 du Code civil). En effet, tout acte fautif et préjudiciable engage la responsabilité de son auteur. Dès lors, en l’absence de droits exclusifs reconnus par la loi, l’ordre public économique exige des relations loyales et des pratiques régulières entre les acteurs.

La jurisprudence définit l’acte de concurrence déloyale comme « l’abus de liberté du commerce, causant volontairement ou non, un trouble commercial » (com, 22 octobre 1985).

Définition qui a été rappelée récemment, dans un arrêt du 12 février 2020 de la Cour de Cassation.

« La concurrence déloyale est une forme particulière de responsabilité civile. Elle suppose seulement la démonstration d’un fait fautif générateur de préjudices » (Com 12.02.2008 n°06-17. 501).

Mais les règles de la concurrence déloyale sont elles applicables à l’économie participative ?

Comme l’explique la direction de l’information légale et administrative, l’économie participative est une économie « de pair à pair », qui recouvre « à la fois des plateformes d’échange de biens et de services entre particuliers sans recherche de profit, et des plateformes commerciales ».

Avec l’émergence de ces pratiques, et la prolifération de ce système au sein du commerce électronique, il devient en effet nécessaire d’encadrer plus précisément la relation entre particuliers, et aussi bien au regard des relations acheteurs-vendeurs que des relations entre personnes de même statut.

 

I. La qualification de concurrence déloyale

L’article 120-1 du Code de la consommation consacre l’interdiction des pratiques commerciales déloyales.

« Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère, ou est susceptible d'altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service ».

La concurrence déloyale est définie comme un moyen de nuire à un concurrent afin de détourner sa clientèle par le biais de procédés contraires aux usages loyaux du commerce.

Afin qu’un comportement soit qualifié de déloyal, plusieurs conditions doivent être réunies, l’existence d’un rapport concurrentiel et une faute caractérisant la déloyauté.

A) La nécessité d’un rapport concurrentiel

La mise en œuvre de l’action en concurrence déloyale est subordonnée à l’existence d’une situation de concurrence.

Cette situation de concurrence signifie que deux parties offrent des produits ou des services similaires à une clientèle commune. Il s’agit du principe de spécialité de l’action en concurrence.

L’activité des parties doit donc être de même nature, analogue ou similaire et viser la même clientèle.

La première condition n’est pas sans rappeler l’exigence de détermination d’un marché de référence en matière de libre concurrence.

La seconde condition relative à l’exigence d’une clientèle commune disparaît peu à peu dans la jurisprudence, l’action étant désormais ouverte aux syndicats professionnels et associations.

En effet, à l’origine, l’action en concurrence déloyale avait pour but de protéger la clientèle d’une entreprise contre les moyens déloyaux utilisés par un concurrent. Cet objectif de protection individuelle nécessite de mettre en exergue une situation de concurrence. Cependant, à l’heure actuelle, la finalité recherchée a été déplacée vers une protection plus générale du processus concurrentiel, c’est à dire en incluant tous les partenaires économiques en cause.

Finalement, le 19 décembre 2019, la CJUE va donner raison à AirBnB, en ce qu’elle considère que AirBnB n’est pas un agent immobilier, de sorte que la société n’a pas à se conformer à la législation française. En effet, la Cour qualifie l’activité de la société comme « un service de la société d’information ». La CJUE conclut que AIrBnB ne s’approprie pas illégalement la clientèle des industries de l’hôtellerie, puisqu’il n’existe pas de lien concurrentiel entre les deux.

Ainsi s’il n’existe pas réellement de relation concurrentielle entre l’auteur du comportement déloyal et la victime, l’action peut être admise.

B) Un comportement déloyal

La jurisprudence sanctionne les comportements visant à affaiblir un concurrent dans la compétition autrement que par l’exercice de ses propres mérites.

Il peut s’agir de dénigrement, d’imitation, de débauchage, de parasitisme ou encore d’une faute d’imprudence ou de négligence.

Lorsqu’il s’agit d’une simple imprudence ou négligence, la victime est dispensée de démontrer l’intention de nuire de l’auteur.

Le dénigrement est une affirmation malicieuse dirigée contre un concurrent dans le but de détourner sa clientèle. Il s’agit notamment de discréditer les produits, le travail ou la personne directement. Le discrédit peut être direct ou indirect. En d’autres termes, soit il vise clairement à critiquer le concurrent, soit il suggère des qualités manquantes aux produits ou services des entreprises concurrentes.

En tout état de cause, le dénigrement doit être public (TGI Paris, 10.12.1963).

L’imitation consiste à créer une confusion avec la réputation d’un concurrent afin de capter sa clientèle. Le risque de confusion dans l’esprit des consommateurs doit être exprès pour que l’imitation soit caractérisée.

Le parasitisme englobe l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin d’en tirer profit. Il s’agit de la volonté de s’approprier le travail, le savoir-faire ou encore les recherches d’autrui ayant une valeur économique.

Ces règles sont elles applicables aux industries de l’économie participative ?

II. La concurrence déloyale et l’économie participative

La mise en place de l’économie participative déstabilise tout le système économique actuel et bouleverse des secteurs entiers d’activité.

Ce bouleversement est particulièrement symbolisé, aujourd’hui, par des start-ups comme Uber ou AirBnB.

De nombreux professionnels touchés par l’essor de ces industries demandent leur interdiction ou la mise en place d’une régulation.

Les pouvoirs publics édictent donc, peu à peu, des nouvelles règles de conduite afin de faire coexister la consommation interpersonnelle et le commerce des professionnels.

La question phare, à laquelle les autorités publiques sont amenées à répondre, est de savoir si ces industries se rendaient coupables de concurrence déloyale.

L’analyse de l’offre de location prévue par AirBnB et les offres présentées par l’hôtellerie démonte bien qu’il existe une similitude d’activité.

Afin de qualifier une concurrence déloyale, il est nécessaire de prouver un lien concurrentiel et une déloyauté.

A) Existence d’un lien concurrentiel

Pour qu’il y ait concurrence entre deux acteurs économiques, ces derniers doivent offrir des produits ou services substituables sur le même marché.

Les produits ou services sont substituables dès lors que le consommateur les juge équivalents dans leur nature, utilisation et/ou prix.

Le secteur de l’hôtellerie agit sur le marché des séjours de courte durée. L’autorité de la concurrence avait déjà admis qu’il existait un marché différent entre l’hébergement en hôtel et en chambre d’hôte par exemple (Décision n° 06-D-06 du 17 mars 2006 et Décision n° 15-D-06 du 21 avril 2015).

AirBnB permet aux voyageurs de séjourner dans des endroits atypiques, pour de longues durées. Il est, ainsi, possible de définir le marché pertinent comme étant le même que celui des gîtes ou des chambres d’hôte.

Néanmoins, AirBnB propose également à la location des séjours à la nuitée. Ainsi, pour ce service précis, le marché est identique à celui des hôtels.

En conclusion, la concurrence entre les deux entreprises est partielle.

Il est dont nécessaire de vérifier si une faute a été commise de nature à caractériser comportement déloyal.

Néanmoins, AirBnB ne fait que mettre en relation des particuliers, mais ne loue pas directement les logements. Dès lors, il ne peut exister, de la part de la société, de comportement déloyal a proprement parler.

Le particulier pourra être sanctionné sur le fondement de la concurrence déloyale.

B) Existence d’un comportement déloyal

En effet, le particulier pourra être considéré comme exerçant une activité professionnelle dans certaines conditions.

Les juges peuvent être amenés à qualifier de professionnel un particulier qui exerce une activité de manière fréquente et régulière. C’est à dire pas de manière occasionnelle.

Ils détermineront ensuite si l’intention du particulier est de tirer des revenus de cette activité. Toutefois, l’absence de revenus suffisants pour vivre n’est pas un élément suffisant pour prouver le caractère non professionnel d’une activité.

Ces critères de qualification ont été consacrés dans les années 2000, à la suite de contentieux entre des professionnels et des vendeurs particuliers sur Ebay.

Dans le cas d’Uber, la Cour d’appel de Paris, le 12 décembre 2019, a reconnu un comportement déloyal de la société, concernant les préconisations de la société, invitant les chauffeurs qui n’ont pas de réservations à se rendre dans une zone à forte demande, ce qui est contraire au code des transports.

Lorsque ces critères sont réunis, le particulier peut être condamné au titre de concurrence déloyale.

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SOURCES
-http://www.lefigaro.fr/societes/2015/10/22/20005-20151022ARTFIG00338-les-hoteliers-accusent-airbnb-de-concurrence-deloyale-et-tromperie.php
- http://www.lexpress.fr/actualites/1/societe/airbnb-souhaite-cooperer-avec-la-ville-de-paris_1655866.html
-Com., 12 février 2020, n° 17.31-614
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_commerciale_574/174_12_44417.html
-Com., 3 mai 2016, n° 14-24.905
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000032504068/
-Com., 15 janvier 2020, n° 17-27.778
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000041490390/
-CJUE, 19 décembre 2019, C‑390/18
https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=221791
-Cour d’appel de Paris, 12 décembre 2019 n° 17/03541

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