NOUVEAU DELIT DE CONSULTATION DES SITES DJIHADISTES
/ Avril 2021 /
La loi pénale de 2016 crée un délit de consultation régulière des sites djihadistes et terroristes. Fruit d’un long débat politique, sa création a été nécessairement accélérée par les récents attentats commis en 2015. Cependant, tant l’utilité de la loi que sa conformité avec - notamment - la Constitution sont contestées.
Le Sénat a, au début de l’été 2016, voté une loi de réforme pénale. Celle-ci prévoit l’incrimination de la consultation habituelle des sites internet djihadistes et terroristes.
Plus précisément, la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, a créé l’article 421-2-5-2 du Code pénal, qui incrimine la consultation habituelle de sites internet incitant à la commission d’actes terroristes ou en faisant l’apologie et réprime de tels actes par plus de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.
Celle-ci a vocation à s’appliquer à chacun, sauf à certains emplois. En effet, les journalistes, les enquêteurs, les chercheurs… qui dans le cadre de leur emploi consultent tels sites internet ne sauraient être incriminés.
Besoin de l'aide d'un avocat pour un problème pénal ?
Téléphonez nous au : 01 43 37 75 63
ou contactez nous en cliquant sur le lien
Cette consultation doit, aussi, être « habituelle ». Ainsi, une consultation unique n’entre pas dans le champ d’application de cette loi. Les sites délictueux sont, eux, définis comme « ceux qui soit incitent à la commission d’acte terroriste , soit ceux qui font l’apologie du terrorisme et des actes terroristes ». Ce nouveau délit est puni de 30 000 euros d’amende, ainsi que de deux ans d’emprisonnement.
Le président de l’époque, Nicolas Sarkozy, avait d’ailleurs affirmé sa volonté de mettre en place une loi incriminant ce type de pratiques.
Ce projet n’avait pas abouti, le Conseil d’État censurant fermement cette disposition, estimant qu’elle serait potentiellement attentatoire aux libertés. Le syndicat de la magistrature estimait de son côté que cette loi aurait une « efficacité zéro », tout en confirmant la crainte liberticide du Conseil d’État.
D’ailleurs, une telle loi ou délit n’existe dans aucun autre pays européen. C’est ce qu’avait rappelé le Conseil d’État, au moment de sa mise en garde à l’égard d’une telle loi des suites de l’affaire Merah, en affirmant que de telles dispositions étaient « sans véritable précédent dans notre législation, ni équivalent dans celle des autres États membres de l’Union européenne ».
Ce délit est en réalité copié dans son texte sur le délit de consultation des sites pédopornographiques, qui a constitué le premier délit du genre en France. Seulement, si la consultation de tels sites ne constitue pas un acte sexuel, le délit de consultation des sites djihadistes constitue, lui, une forme de présomption de terrorisme. C’est en effet cette présomption qui fait le plus débat.
De plus, il convient de rappeler que le Code pénal sanctionnait déjà la consultation de sites internet djihadistes quand celle-ci était en lien « avec un projet terroriste ».
D’ailleurs, le Sénat avait déjà également proposé un projet de loi antérieur, en date du 17 décembre 2015 « tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste ». Mais le projet avait finalement été abandonné, notamment sans suite accordée par l’Assemblée nationale.
Enfin, une telle loi ou délit n’existe dans aucun autre pays européen.
Une fois le cadre légal explicité (I), la question qui se pose est son utilité : n’est-il qu’un texte à but politique et non à but d’efficacité (II) ?
I. Le cadre légal du délit de consultation habituelle de sites djihadistes
Le cadre légal de ce nouveau délit est particulier. En effet, lorsqu’il a été proposé une première fois en 2012, le Conseil d’État avait été clair sur le caractère liberticide d’une telle mesure (B). Cependant, ce texte a bien été adopté en 2016, et le gouvernement veut lui donner un champ d’application précis (A).
A. Le champ d’application du délit
Contestée ou non, la loi de réforme pénale pour 2016 a bien été adoptée et promulguée en juin. Dès lors, son champ d’application est précisé dans le texte.
L’article 421-2-5-2 du Code pénal a été publié le 5 juin 2016. Il dispose d’abord que « Le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d'actes de terrorisme, soit faisant l'apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d’amende. ».
Il concerne donc tout moyen de communication utilisant internet : il va donc au-delà des simples sites internet djihadistes et terroristes, et vise tout autant les applications de smartphones par exemple.
Cette consultation doit être « habituelle ». Ici, c’est un véritable problème. Si l’on suppose qu’une seule consultation ne saurait rentrer dans le champ d’application de la l’article, on ne saurait dire à partir de combien de consultations, de combien de temps de consultation aussi, une visite devient habituelle.
Les sites délictueux, eux, sont définis clairement : ce sont ceux qui « soit incitent à la commission d’acte terroriste, soit ceux qui font l’apologie du terrorisme et des actes terroristes ».
Enfin, ce délit est puni de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
Le second paragraphe de l’article, lui, fait état des dérogations. Il dispose que « Le présent article n'est pas applicable lorsque la consultation est effectuée de bonne foi, résulte de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice. ».
Ainsi, les journalistes, les chercheurs, les enquêteurs sont présumés « de bonne foi », et dans le cadre de leurs recherches respectives, ils ne sauraient être incriminés.
Cependant, cela laisse entendre que tous les autres sont présumés de mauvaise foi, et donc utiliseraient potentiellement les informations de ces sites dans un but terroriste. C’est ce qui est principalement contesté.
B. Une légalité contestée
Dès 2012, le Conseil d’État avait fermement condamné ce texte. Il a considéré que « de telles dispositions étaient contraires à la liberté de communication », et que cette atteinte n’était pas « nécessaire, proportionnée et adaptée à l’objectif de lutte contre le terrorisme ».
La liberté de communication est un principe à valeur constitutionnelle en droit français. En effet, elle apparait à l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui fait partie du bloc de constitutionnalité. Cet article 11 dispose que « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».
De plus, dans sa décision nº 2009-577 DC du 3 mars 2009, le Conseil constitutionnel a précisé que, « eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d'accéder à ces services ».
Ce principe est, enfin, aussi contenu dans la Convention européenne des Droits de l’Homme, à son article 10, qui dispose que « Toute personne a droit à la liberté d’expression . Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière (…)
L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ».
Ainsi, si internet - et donc les sites djihadistes - fait partie intégrante de la liberté de communication telle qu’elle est interprétée en France et en Europe aujourd’hui, on s’aperçoit que celle-ci peut, notamment pour des raisons de sécurité nationale, être limitée dans son application. Dès lors, pourquoi le conseil d’Etat estime que ce délit était contraire à la liberté de communication ?
Le Conseil d’État, dans sa décision de 2012, applique le principe de proportionnalité, qui veut que les atteintes à une liberté - ici de communication - ou à un droit soient proportionnelles à un objectif, et que cet objectif ne puisse être atteint autrement. La détermination de telle proportionnalité est en général laissée à l’appréciation du juge.
Il a donc estimé ici que l’incrimination pour simple consultation d’un site djihadiste était disproportionnée. En effet, il serait très difficile de soutenir que chaque individu consultant tels sites soit une menace pour la sécurité intérieure ou pour l’ordre public, raisons valables pour déroger à la liberté de communication.
De plus, comme nous le développerons plus tard, ce texte semble redondant. Il existait en effet déjà un autre délit de consultation des sites djihadistes, mais si ceci était fait en lien avec une entreprise terroriste. Dès lors, le Conseil d’État estime qu’il y avait déjà un autre moyen existant pour atteindre l’objectif.
Ce texte semble, donc déjà contesté et contestable juridiquement avant même qu’il ne soit promulgué.
D’ailleurs, une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) a été transmise le 14 septembre à la Cour de cassation pour contester de la constitutionnalité de cette loi. Il y est en effet contesté cette atteinte à la liberté de communication dans les mêmes termes que le Conseil d’État. Cependant, il ajoute aussi que le flou du terme « habituelle » est en contradiction avec le principe de légalité des délits et des peines, ainsi qu’avec celui de sécurité et de prévisibilité juridique.
II. Un texte à résonance politique
On le sait, ce texte est voulu par la classe politique depuis 2012 et le retour du terrorisme sur le sol français. Chaque nouvel attentat faisait renaître la volonté de mettre un tel délit en place. Cependant, comme on l’a vu, il a toujours été contesté juridiquement, mais il l’est aussi dans son application concrète (A). De plus, ce texte semble plus être un texte de dissuasion plutôt qu’un texte ayant l’ambition d’être efficace (B).
A. Un texte difficilement applicable
Le nouvel article 421-2-5-2 du Code pénal connaît donc des motifs de contestations dans sa légalité et sa constitutionnalité même, et il appartiendra au Conseil constitutionnel de se prononcer sur le sujet dans peu de temps.
Cependant, il apparait que même si les sages du Conseil rendaient un avis favorable, son application est difficile à mettre en oeuvre.
Tout d’abord, ce sont les sites internet mêmes faisant « l’apologie du terrorisme » qui devront faire l’objet d’une liste portée à la connaissance de tous, ainsi que les applications, voir les groupes de discussions dans celles-ci. Faire cette liste est compliqué, car le propre d’internet est sa capacité d’évolution. Un site internet interdit pourrait en faire naître deux de plus, et la loi serait ainsi contre-productive. Aussi, on peut prendre l’exemple de l’application « Telegram », permettant des conversations cryptées entre internautes. Si la société productrice de l’application oeuvre à fermer les groupes de conversations djihadistes, des centaines d’autres peuvent être créés en l’espace d’une minute. Ce délit semble donc peu efficace sur ce point.
Un autre point est le fait qu’un internaute assez compétent peut non seulement anonymiser ses connexions, le rendant indétectable (c’est par exemple le principe de l’application Telegram). Pire, il peut usurper l’adresse IP d’un autre internaute, et c’est ce dernier qui serait alors inculpé et présumé terroriste.
Ce texte, qui est ainsi si difficile dans son application, semble servir un but plus politique que juridique ou répressif.
B. Un texte à vocation dissuasive
On l’a rappelé, ce texte est un serpent de mer de la politique depuis 2012. Chaque année, il a été proposé dans différents projets de loi avant son adoption en juin 2016, sûrement à cause de la multiplication des attentats en France depuis 2015.
Seulement, un tel délit existait déjà lorsqu’il était fait « en lien avec une entreprise terroriste ». C'est-à-dire que, lorsqu’un individu faisait déjà l’objet d’une surveillance pour radicalisation par exemple, et qu’il visitait régulièrement tels sites internet, il pouvait être inculpé. Seulement, la sorte de présomption de culpabilité n’existait pas : le lien avec le terrorisme devait être établi avant le délit de consultation.
Ainsi, ce texte visant une population plus large, est-il adapté aux besoins sécuritaires actuels ou est-il redondant avec le précédent ?
Le terrorisme, on le sait, a muté. Aujourd’hui, nombre d’aspirants au djihad se radicalisent par eux-mêmes sur internet. C’est sûrement ces individus qui sont visés par le texte. Cependant, on l’a vu, ce texte sera très probablement au moins modifié par le Conseil constitutionnel, et les hommes politiques qui l’ont façonné le savent pertinemment.
Dès lors, il apparaît que ce texte ne sert qu’un dessein politique et cherche à provoquer un effet d’annonce, plutôt qu’une véritable volonté de lutte effective contre le terrorisme.
Toutefois, cette loi fut l’objet d’une QPC, si bien que le 10 février 2017, on s’est interrogé sur la constitutionnalité du délit de « consultation habituelle » de site criminel, prévu à l’article 421-2-5-2 du Code pénal.
Cette infraction a pour élément matériel, un fait qui n’est pas susceptible de causer seul, une atteinte à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes. En effet, ce texte permettait la répression d’un fait en amont et donc d’anticiper le processus de radicalisation, le but de la loi était donc de prévenir. Cet article est devenu le symbole de cette loi de 2016, une législation d’anticipation du terrorisme.
Cependant, le Conseil Constitutionnel a décidé d’appliquer le principe de l’économie des moyens, et va statuer sur la liberté de communication. En ce sens, elle déclare qu’il y a une absence de nécessité et de proportionnalité de l’atteinte portée à la liberté de communication, alors qu’il existait déjà des moyens pour sanctionner de tels actes, tel que l’association de malfaiteurs.
Le Conseil Constitutionnel considère ainsi que le législateur a par cette loi, excédé dans son pouvoir de prévention, au point de porter atteinte à la liberté de penser de l’internaute, bien qu’il n’y ait aucune expression public ou acte matériel dangereux.
Ainsi, le Conseil Constitutionnel va conclure que « les dispositions contestées portent une atteinte à l’exercice de la liberté de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée. L’article 421-2-5-2 du Code pénal doit donc, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres griefs, être déclaré contraire à la Constitution ». L’article 421-2-5-2 du Code pénal est déclaré inconstitutionnel.
Toutefois malgré cette censure, la loi va être rétablie par la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique. Cependant, le 15 décembre 2017, cette loi fut de nouveau l’objet d’une QPC. Le Conseil Constitutionnel considère que les dispositions qui ont été ajoutées par le législateur, pour palier à la décision de février, ne suffisent pas à ce que la loi ne soit pas qualifiée d’inconstitutionnelle.
La nouvelle loi réprime « le seul fait de consulter à plusieurs reprises un service de communication au public en ligne, sans que soit retenue l’intention terroriste de l’auteur de la consultation comme élément constitutif de l’infraction ». La décision retient, par conséquent, « une atteinte à l’exercice de la liberté de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée ». Par conséquent, depuis ces deux décisions du Conseil Constitutionnel, l’article 421-2-5-2 du Code pénal a été abrogé.
Pour lire un article plus court, sur une version plus adaptée au mobile, cliquer ici
ARTICLES EN RELATION :
- Protection de votre site internet en cas de contrefacon
- Les nouvelles lois antiterroristes
- Applications mobiles
- Blogs et liberte d’expression
- L'adresse ip est elle une donnee personelle ?
Sources :
- https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032627231&categorieLien=id
- http://arianeinternet.conseil-etat.fr/consiliaweb/avisadm/386618_20120405.pdf
- http://information.tv5monde.com/info/le-crime-de-lecture-de-site-internet-ete-vote-sera-t-il-applicable-118665
- http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/09/16/le-delit-de-consultation-de-sites-terroristes-sous-la-menace-du-conseil-constitutionnel_4999030_4408996.html
- http://www.lexinter.net/JF/liberte_de_communication_et_d'expression.htm
-Conseil Constitutionnel 10 février 2017 n° 2016-611-QPC
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFARTI000034027044
-LOI n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGIARTI000034107680/2017-03-02/
-Conseil Constitutionnel 15 décembre 2017 n° 2017-682-QPC
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFARTI000036210363