LA CONSULTATION DES SITES PORNOGRAPHIQUES PAR UN SALARIE CONSTITUE-T-ELLE UNE FAUTE GRAVE ?
/ Mai 2022 /
La consultation des sites pornographiques par les salariés durant leur temps de travail avec le matériel informatique de l’employeur est un comportement qui peut se produire dans les entreprises. Les employeurs vont alors licencier leurs salariés pour faute grave. Les juges ont donc dû s’interroger sur la validité du licenciement pour faute grave.
La consultation de sites pornographiques par un salarié est d’office, dans l’esprit d’un non-initié, constitutive d’une faute grave. En effet, il est difficile de considérer la consultation de sites pornographiques par un salarié comme non constitutive d’une faute grave.
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Cela est difficile à admettre surtout si la consultation de sites pornographiques par un salarié se fait durant les heures de travail, sur le lieu de travail et avec le matériel fourni par l’employeur. La réunion de tous ces éléments n’est pas à la faveur du salarié. Les employeurs vont alors licencier leurs salariés pour faute grave.
Cependant, il arrive que la consultation des sites pornographiques par un salarié ait pu être considérée comme ne constituant pas une faute grave par les juges. Les juges ont donc dû s’interroger sur la validité du licenciement pour faute grave. La sanction de la consultation des sites pornographiques par un salarié n’est donc pas facile à déterminer. Plusieurs éléments sont à prendre en compte et tout dépendra des conditions dans lesquelles cette consultation de sites pornographiques par un salarié sera faite.
C’est ainsi que la cour de cassation s’est penchée sur cette question dans un arrêt du 12 mai 2012. En l’espèce, il s’agit d’un salarié mis à pied par son employeur . Le salarié est ensuite licencié pour faute lourde pour avoir détérioré le système informatique de l’entreprise sans y remédier en se connectant à des sites pornographiques durant ses heures de travail.
Le salarié s’oppose à ce licenciement et saisit les prudhommes en demandant le paiement de diverses sommes au titre de la rupture.
Le tribunal puis la cour d’appel font droit à la demande du salarié en estimant que le salarié n’a pas commis une faute permettant d’engager un licenciement pour faute.
L’employeur forme un pourvoi en cassation en invoquant plusieurs moyens. L’employeur précise tout d’abord que le fait pour un salarié de consulter durant ses horaires de travail des sites pornographiques sur internet à partir de l’ordinateur de l’entreprise constitue une faute grave.
De plus, il invoque le fait qu’il s’agit ici d’un acte d’insubordination caractéristique d’une faute grave, puisque le salarié n’a pas respecté le règlement intérieur de la société qui interdisait l’utilisation abusive et contraire aux bonnes mœurs du matériel informatique. L’employeur rappelle ensuite que la gravité de la faute commise par un salarié ne dépend pas de l’importance du préjudice subi par l’employeur, c’est pourquoi la production de pièces démontrant que l’infection par le virus avait eu des conséquences sur l’image de la société ne devrait pas être nécessaire. Enfin, il relève qu’il ne ressortait ni du procès-verbal d’audition du salarié ni d’aucun rapport que le salarié avait signalé au service informatique qu’il recevait un nombre anormal de messages.
La cour de cassation a alors dû s’interroger sur la qualification des faits commis par le salarié. La consultation par un salarié de sites pornographiques durant ses horaires de travail peut-elle constituer un motif grave et sérieux permettant un licenciement pour faute grave ?
La cour de cassation confirme l’arrêt de la cour d’appel en refusant de faire droit à la demande de l’employeur. En effet, celle-ci énonce que la cour d’appel a constaté par une appréciation souveraine que la propagation du virus aboutissant à une diffusion anormale de messages sur l’ordinateur du salarié qui pouvait avoir pour origine la consultation par ce dernier de sites à caractère pornographique , avait été signalée par l’intéressé au service informatique.
De plus, la cour énonce que la cour d’appel avait constaté que si le taux de téléchargement en provenance de son ordinateur était élevé, la pratique existait dans l’entreprise même en l’absence du salarié. La cour a pu considérer que cette utilisation du matériel informatique professionnel en infraction au règlement intérieur à l’origine de la dégradation involontaire du système informatique de l’entreprise n’était pas constitutive d’une faute grave justifiant la rupture immédiate de son contrat de travail.
La cour de cassation estime ainsi que la consultation de sites à caractère pornographique n’est pas un motif grave et sérieux de licenciement pour faute, du fait de la pratique qui existait dans l’entreprise, donc même si ce comportement est contraire au règlement intérieur, cela ne permet pas d’engager un licenciement pour faute.
Il apparaît, tout d’abord nécessaire de s’arrêter sur la procédure de licenciement pour faute (I) pour ensuite pouvoir étudier plus en profondeur la décision de la cour de cassation (II).
I. Le licenciement pour faute
A. La faute permettant le licenciement
L’employeur a la possibilité de licencier le salarié pour faute, à condition qu’il existe bien une faute. La faute peut être sérieuse, grave ou lourde.
La faute simple est celle qui rend impossible le maintien du lien contractuel, alors que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise (ex : Cass Soc 27 septembre 2007 n°06-43.367). Ici la violation des obligations du contrat de travail est d’une telle importance qu’elle rend impossible la continuité du contrat. C’est pourquoi le salarié doit quitter l’entreprise immédiatement, sans préavis.
Peu importe le type de faute, il faut toujours une cause réelle et sérieuse. La cause réelle s’apprécie en ce qu’elle existe et qu’il s’agit de la cause exacte amenant au licenciement. La cause sérieuse signifie que la sanction doit être proportionnée.
La faute simple est celle qui rend impossible le maintien du lien contractuel, par conséquent la faute n’empêche pas le maintien dans l’entreprise pendant le préavis. Le salarié licencié à la suite d’une faute simple bénéficiera de toutes les indemnités de licenciement.
La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise (ex : Cass Soc 27 septembre 2007 n°06-43.367). Ici, la violation des obligations du contrat de travail est d’une telle importance qu’elle rend impossible la continuité du contrat. C’est pourquoi le salarié doit quitter l’entreprise immédiatement, sans préavis. Ainsi, le salarié ne bénéficiera pas des indemnités de préavis ni des indemnités de licenciement, il aura simplement le droit au congé payé.
La faute peut encore être lourde, c’est alors la faute la plus importante que puisse réaliser un salarié. Cette faute consiste en l’intention de nuire du salarié. Il peut par exemple s’agir d’un détournement d’informations (ex : Cass Soc 12 juin 2002 n°00-41.287) de malversation, ou d’actes de concurrence. La faute du salarié est considérée comme lourde lorsqu'elle est commise dans l'intention de nuire à l'employeur.
C'est à l'employeur d'apporter la preuve de cette intention de nuire. Lorsque le licenciement pour faute lourde est prononcé, le salarié n’a pas le droit à des indemnités de rupture du contrat. Cependant, depuis une décision du Conseil Constitutionnel du 2 mars 2016, même en cas de licenciement pour faute lourde, le salarié a le droit à ses indemnités de congés payés. Cette faute permettra de plus à l’employeur d’engager la responsabilité du salarié, c’est le seul cas où la responsabilité personnelle du salarié peut être engagée.
B. La procédure du licenciement pour faute
Lorsque l’employeur souhaite licencier un salarié pour faute, il doit suivre une procédure particulière. Il doit tout d’abord procéder à la mise à pied à titre conservatoire du salarié. L’employeur demande au salarié de ne plus venir travailler. L’employeur n’est pas obligé de mettre en œuvre la mise à pied, mais dans la définition même du licenciement pour faute il s’agit d’écarter un salarié de l’entreprise, car son maintien au sein de l’entreprise n’est plus possible.
Ainsi, si l’employeur n’effectue pas la mise à pied du salarié, il apparaît difficile pour l’employeur de justifier d’une impossibilité du maintien du contrat de travail avec le salarié en question. Donc en réalité, la mise à pied doit être faite. La mise à pied a pour effet de suspendre l’exécution du contrat de travail. Elle est notifiée en même temps que l’entretien préalable. Il faut encore souligner que durant la mise à pied le salarié ne reçoit pas de rémunération. Cependant, si l’employeur revient sur sa décision de licencier le salarié pour faute, s’il estime par la suite que le comportement n’était pas fautif, le salarié devra être rémunéré.
Il faut dans un premier temps convoquer le salarié à un entretien préalable. Cela peut se faire par la remise d’une lettre recommandée avec avis de réception ou par la remise en main propre. Cette lettre doit contenir l’objet de l’entretien et la possibilité d’un licenciement. Également, dois être précisé au salarié qu’il peut être accompagné d’un membre du CSE ou à défaut un membre de l’entreprise ou un conseiller sur liste préfectorale. Doit être également fait mention de la date de l’entretien ainsi que son lieu. Doit contenir comme mentionné précédemment, la mise à pied conservatoire s’il y en une.
Ensuite doit intervenir l’entretien préalable du salarié. L’employeur doit obligatoirement convoquer son salarié afin de lui annoncer son licenciement. L’entretien ne peut pas avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée de convocation au salarié ou après l’information en personne du salarié (article L1232-2 du Code du travail). L’employeur va lors de l’entretien expliquer au salarié les motifs qui justifient un tel licenciement.
L’employeur tout comme le salarié pourront être assistés, mais cela ne doit pas causer de grief au salarié.
Enfin, la notification du licenciement doit être faite. Celle-ci ne peut arriver au plus tôt que deux jours ouvrables après l’entretien préalable. Selon l’article L1332-2 du Code du travail, lorsqu’il s’agit d’un licenciement pour faute la notification ne peut pas intervenir plus d’un mois après l’entretien préalable. Les motifs du licenciement sont obligatoirement indiqués, ces derniers doivent être précis et objectifs. Par la suite, le salarié pourra demander des précisions sur ces motifs dans les 15 jours qui suivent la notification. Si le salarié ne demande pas ces précisions, il ne pourra se prévaloir de l’insuffisance du motif. Également, la lettre doit être signée par une personne de l’entreprise.
II. La consultation des sites pornographiques une faute grave ?
A. La consultation de sites pornographiques constituant normalement une faute grave
La consultation des sites pornographiques au travail est une pratique qui est sévèrement réprimée en jurisprudence. En effet, la cour de cassation a à plusieurs reprises rappelé que l’usage de l’outil informatique à des fins personnelles pour consulter des sites pornographiques constitue une faute grave susceptible d’entraîner un licenciement.
C’est ainsi que dans un arrêt du 15 décembre 2010 la cour de cassation a pu énoncer que « Mais attendu que la cour d’appel, qui a relevé que l’utilisation de sa messagerie pour la réception et l’envoi de documents à caractère pornographique et la conservation sur son disque dur d’un nombre conséquent de tels fichiers constituaient un manquement délibéré et répété du salarié à l’interdiction posée par la charte informatique mise en place dans l’entreprise et intégrée au règlement intérieur, a pu en déduire que ces agissements, susceptibles pour certains de revêtir une qualification pénale, étaient constitutifs d’une faute grave et justifiaient le licenciement immédiat de l’intéressé » (Cass. soc., 15 déc. 2010, n° 09-42.691).
Il apparaît que lorsque le salarié utilise l’outil informatique professionnel pour consulter des documents à caractère pornographique, cela crée une violation de la chartre informatique intégrée au règlement intérieur de l’entreprise ce qui constitue une faute grave, et qui justifie un licenciement.
De même, la Cour de cassation a pu énoncer dans un arrêt du 10 mai 2012, (pourvoi n° 10-28.585)que « Mais attendu que la cour d’appel, qui a relevé que le salarié avait, au cours de l’été 2007 et jusqu’en décembre 2007, utilisé de manière répétée pendant les heures de service les ordinateurs que son employeur avait mis à sa disposition pour l’exécution de sa prestation de travail en se connectant pendant les heures de service, au vu et au su du personnel, à des sites pornographiques sur internet, a légalement justifié sa décision ». Dans cet arrêt la cour a également estimé que la consultation de sites pornographiques sur les ordinateurs de l’employeur constitue une faute grave qui justifie un licenciement.
Dans un arrêt du 3 octobre 2018, la Cour de cassation (pourvoi n°17-13.089) a confirmé le licenciement d’un salarié qui avait consulté 800 fois par mois des sites à caractère pornographique dont 200 fois en 7 jours. Le salarié avait également stocké sur un disque dur externe personnel des vidéos ainsi que des photographies à caractère pornographique qu’il avait apportés sur son lieu de travail. En effet dans cet arrêt, la cour vient sanctionner l’usage abusif de l’utilisation d’un ordinateur professionnel à des fins personnelles. Cet abus est notamment caractérisé par le nombre de connexions réalisées avec l’outil professionnel.
La jurisprudence est alors constante sur cette question. Ainsi lorsque le salarié se connecte pendant ses heures de travail sur les ordinateurs mis à sa disposition par son employeur pour consulter des sites pornographiques cela constitue une faute grave, permettant de justifier le licenciement du salarié.
B. La consultation de sites pornographiques ne constituant plus une faute lorsque la pratique est tolérée par l’employeur
La cour de cassation a rendu deux arrêts le 10 mai 2012 (pourvoi n° 11-11.060 et pourvoi n° 10-28.585), le premier qui estime que la consultation de sites pornographiques constitue une faute grave, et le second qui estime au contraire que cette consultation n’est pas constitutive d’une faute.
Dans ce second arrêt, la cour de cassation juge que le fait pour le salarié de consulter des sites pornographiques durant ses horaires de travail ce qui a permis l’intrusion d’un virus dans le système informatique de la société ne peut pas constituer une faute capable d’entraîner un licenciement. En effet, la cour de cassation prend ici en compte deux éléments pour arriver à sa solution. Dans un premier temps, la cour précise que le salarié a informé le service informatique de l’intrusion d’un virus. Mais l’argument principal de la cour est le fait que l’employeur tolère ce type de pratique au sein de l’entreprise.
La Cour estime que l’employeur avait connaissance du fort téléchargement effectué par son salarié, ce qui permettait alors à l’employeur de savoir que son salarié utilisait de manière abusive et personnelle son ordinateur professionnel.
Ainsi, pour la Cour de cassation le fait de violer les règles du règlement intérieur en consultant des sites pornographiques ne permet pas de justifier le licenciement pour faute, puisque l’employeur tolérait le téléchargement fait par son salarié.
Donc, il est nécessaire aux employeurs d’adopter une position de sévérité envers les salariés qui ne respectent pas la chartre informatique. En effet, un comportement laxiste envers le respect de la chartre informatique ne permet plus ensuite à l’employeur de licencier des salariés pour le non-respect de ladite chartre, puisque celui-ci n’a jamais fait en sorte qu’elle soit respectée.
Ainsi, deux arrêts aux faits similaires ont été rendus le même jour, mais la solution est pourtant opposée, il est alors important pour les employeurs de faire respecter la chartre informatique tout au long du contrat de travail de ses salariés au risque de voir celle-ci inefficace.
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Sources :
- Le licenciement pour faute grave : procédure et effets, par Xavier Berjot http://www.village-justice.com/articles/licenciement-faute-grave-procedure,8454.html
- Lamyline.fr
- Dalloz.fr
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