L’ORIGINALITÉ D’UNE OEUVRE

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/ Mai 2021 /

« Chercher l’originalité dans la nouveauté est une preuve d’absence d’originalité » tels sont les propos de Jacques de Bourbon Busset dans son œuvre « Tu ne mourras point ». C’est pourquoi en droit, chacune de ces notions, « nouveauté » et « originalité », est protégée par un droit bien spécifique. La nouveauté par le droit des brevets et l’originalité par le droit d’auteur. Et si l’ère du numérique nous menait à la confusion entre ces deux concepts ?

Le droit d’auteur peut être défini, comme rappelé par le site de l’administration française, comme celui qui, « portant sur les œuvres de l’esprit (écrits, photos, partitions, logiciels, etc.), confère à l’auteur un droit de propriété exclusif sur sa création, aussi bien en matière de droits moraux que patrimoniaux ».

Le droit des brevets, lui, est une branche du droit de la propriété industrielle. Comme le rappelle l’Insee, « le brevet protège une innovation technique, c’est-à-dire un produit ou un procédé qui apporte une solution technique à un problème technique donné. De nombreuses innovations peuvent faire l’objet d’un dépôt de brevet, à condition de répondre aux critères de brevetabilité et de ne pas être expressément exclues de la protection par la loi ».


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Ceci étant, aussi bien au regard des critères de la protection par le droit d’auteur que de ceux du droit des brevets, l’originalité d’une œuvre est déterminante. Certains parlent « d’empreinte de la personnalité de l’auteur », d’autres encore « d’effort personnalisé ».

Quoiqu'il en soit, à défaut d’un régime propre à appliquer pour les nouvelles œuvres issues du numérique, c’est vers la propriété littéraire et artistique composée du droit d’auteur et des droits voisins que le droit s’est tourné afin d’encadrer et protéger ces œuvres immatérielles. Plus précisément, le droit d’auteur, ce qui lui a insufflé une nouvelle vie.

Les conditions permettant de profiter de la protection de ce droit d’auteur sont répertoriées à l’article L112-1 du CPI qui dispose « Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination » (1).

C’est donc par cette indifférence du genre, du mérite, de la forme d’expression ou encore de la destination, que ce droit se spécifie et de ce fait, il offre l’hospitalité à plusieurs créations notamment celles issues du numérique.

Une adaptation de ce droit était nécessaire allant même jusqu’à sa réécriture au travers de l’évolution du critère d’originalité qui caractérise la seule condition de protection. Ce nouveau défi porte autant sur l’informatique en tant que substance par les logiciels et bases de données (I) que son utilisation au travers des œuvres multimédias (II)

 

I- L’évolution du critère d’originalité grâce aux œuvres informatiques :

A- Un « programme informatique » : Le logiciel.

Il est à l’initiative de la nécessité d’intervention du droit d’auteur pour sa protection.

Loin des œuvres traditionnelles, il est plutôt technique. Il n’existe pas de définition légale du logiciel , mais on peut retenir une conception large de ce dernier, en tant qu’ensemble d’instructions données permettant de traiter l’information par un système informatique. D’où sa particularité qui réside d’abord, dans le fait que c’est un programme composé de suite binaire. Ensuite, ce programme est utile, pratique ce qui diverge d’une œuvre littéraire et artistique où on cherche une certaine esthétique, dure à retrouver parmi des 0 et des 1. Enfin, son destinataire n’est autre qu’une machine et non l’homme.

Le logiciel a imposé au droit d’auteur de s’accommoder en rompant avec sa conception traditionnelle particulièrement en matière d’originalité. Classiquement, l’originalité d’une œuvre réside dans le fait « qu’elle est le fruit d’un travail créatif dans l’univers des formes littéraires ou artistiques et constitue une création marquée de la personnalité de l’auteur ».

Désormais, depuis que l’Assemblée plénière a énoncé qu’« ayant recherché, comme ils y étaient tenus, si les logiciels élaborés par M. Pachot étaient originaux, les juges du fond ont souverainement estimé que leur auteur avait fait preuve d’un effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante et que la matérialisation de cet effort résidait dans une structure individualisée ; qu’en l’état de ces énonciations et constatations... la cour d’appel, qui a ainsi retenu que les logiciels conçus par M. Pachot portaient la marque de son apport intellectuel, a légalement justifié sa décision de ce chef » (C. cass. Ass. plén., 7 mars 1986) pour caractériser l’originalité, on ne parle plus de «d’empreinte de personnalité », mais « d’effort de création » ou encore « l’effort personnalisé ».

Il conviendra dès lors de prendre en compte « l'apport intellectuel » de l'auteur et non pas « l'apport personnel ». On ne recherche plus la personnalité de l’auteur au travers de sa création, mais un cheminement intellectuel qu’aurait suivi ce dernier pour créer son œuvre.

Réside dans le terme « apport » utilisé par la Cour un renvoi à une nouveauté, mais pas seulement, car ce terme peut influencer la conception de l’évolution du critère d’originalité comme poussé par l’économie industrielle qui pour la satisfaire, les juges vont jusqu’à dénaturer le droit conçu pour la protection de l’Art.

Un arrêt du 5 avril 2018, rendu par la Cour d’appel de Douai est venu rappeler que l’effort personnalisé et l’apport intellectuel étaient nécessaires à la détermination du caractère original du logiciel et donc nécessaire à sa protection par le droit d’auteur.

La Cour retient que ces critères permettent de caractériser les choix opérés par le concepteur, susceptibles de l’affirmer comme œuvre de l’esprit. Cet arrêt rappelle également que l’effort personnalisé de l’auteur du logiciel, doit aller au-delà « d’une simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante, la réalisation de cette effort résidant dans une structure individualisée ».

Cette modification de l’essence même du critère de l’originalité n’est que les prémices d’une saga qui s’est poursuivie avec la base de données.

B- Une œuvre d’information : la base de données

« On entend par base de données un recueil d'œuvres, de données ou d'autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessible par des moyens électroniques ou par tout autre moyen. » (2) Telle est la définition de la base de données par l’article L112-3 alinéa 2 du CPI et elle est protégée durant quinze ans (art. L. 342-5).

La base de données est donc une œuvre de l'esprit. Elle peut être protégée par le droit d’auteur si elle est originale par le choix ou la disposition des matières. C’est cette condition unique d’originalité qui constitue l’essence même de la protection de la base de données. C’est ici aussi une conception objective du critère d’originalité qui est imposé par le législateur.

Ce qui va déterminer l’originalité de cette œuvre est donc la structure et l’organisation. Une simple organisation par ordre alphabétique ou chronologique ne suffit pas à caractériser l’originalité. En effet, la simple compilation d’informations n’est pas protégée, pour y parvenir il faut caractériser un « apport intellectuel » de la part de l’auteur (arrêt Coprosa, Civ. 1ère, 2 mai 1989).

Cet « apport intellectuel » se compose d’un choix personnel et arbitraire de la part de l’auteur dans la construction et l’organisation des données. Ainsi ce qui constitue l’originalité de ces œuvres est la façon dont les données sont organisées, construites. On recherche une sorte de valorisation dans l’agencement de l’information et non une automaticité.

Cette recherche de « plus-value » peut nous entraîner encore plus profondément dans l’idée d’influence du lobbying industriel et plus particulièrement la lecture de l’article L. 341-1 qui dispose que « le producteur d’une base de données, entendu comme la personne qui prend l’initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d’une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci attestent d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel ».(3)

Ainsi, dans un arrêt du 2 février 2021, la Cour d’appel de Paris va apprécier la qualité du producteur de base de données sur ce fondement de l’article L.341-1 mais va considérer ce fondement insuffisant, et considère qu’il est nécessaire de rechercher également si, la société qui a acquis « la propriété des éléments d’actifs constituant la branche d’activité d’exploitation de (la base de données), démontre avoir elle-même réalisé, postérieurement à cet apport, un nouvel investissement substantiel lui permettant de bénéficier de la protection » étendue de quinze ans.

 

II- Sa continuité grâce aux œuvres multimédias

A- L’œuvre multimédia :

C’est une œuvre plurielle. Sa définition est doctrinale. C’est la « réunion sur un même support numérique ou lors de la consultation d'éléments de genres différents et notamment de sons, de textes, d'images fixes ou animées, de programmes informatiques dont la structure, l'accès sont régis par un logiciel permettant l'interactivité et qui a été conçu pour avoir une identité propre, différente de celle résultant de la simple réunion des éléments qui la composent » (4)

On a donc une diversité de contenue (texte, image, son…) ce qui fait sa particularité, car on y retrouve des œuvres protégées par le droit d’auteur au travers du critère d’originalité dans sa conception subjective. La réunion de ces œuvres « classiques » constitue la genèse de cette œuvre multimédia.

L’œuvre multimédia est caractérisée par une dualité de nature à la fois artistique et informatique. C’est donc une appréciation globale de l’œuvre qui est opérée au travers soit de sa composition soit de son expression soit des deux, à la fois.

Ainsi par un arrêt du 8 novembre 2016 le TGI de bordeaux rappelle «qu’un site internet peut constituer une œuvre de l’esprit protégeable, seul le choix des couleurs, des formes, du graphisme, de l’agencement, de la programmation et des fonctionnalités peut lui conférer un tel caractère ». Certes ces éléments permettent de caractériser l’originalité objective de l’œuvre et permettent ainsi sa protection, mais le concept d’un site à lui seul ne suffit pas. En effet, comme nous le rappelle l’adage de Dubois « les idées sont de simple parcours » ce qui limite toute autre évolution qu’on voudrait imputer au droit d’auteur.

Concernant les jeux vidéo, qui sont également des œuvres multimédias, il a été reconnu dans l’arrêt Cryo du 25 juin 2009, qu’une approche distributive devait être appliquée. La Cour dispose qu’un « jeu vidéo est une œuvre complexe qui ne saurait être réduite à sa seule dimension logicielle, quelle que soit l’importance de celle-ci, de sorte que chacune de ses composantes est soumise au régime qui lui est applicable en fonction de sa nature. ». Cette approche distributive est depuis lors constante dans la jurisprudence, comme dans la décision du 8 septembre 2016, rendue par le TGI de Lyon.

 

B- Conséquences de la rupture avec les belles lettres

« hors le domaine des belles lettres ou de l'art pur, s'agissant d'œuvres à caractère utilitaire, l'originalité s'entend parfois de manière plus objective comme l'existence d'un apport intellectuel propre à son auteur » (arrêt Pachot).

Œuvre originale et personnalisée, Œuvre de l’esprit, Effort intellectuel, Apport intellectuel…autant de termes qui caractérisent l’évolution du critère d’originalité qui demeure subjectif pour les œuvres « classiques » et prône son objectivation pour protéger les « nouvelles » œuvres.

Dénaturation, affaiblissement… telles sont les atteintes portées au critère d’originalité et de ce fait au droit d’auteur. Car bien que s’offre à lui une nouvelle vie au travers de la protection de ces œuvres, il n’en demeure pas moins que c’est par influence de l’économie et des pressions industrielles que l’Art se retrouve encore relégué au second plan.

Cette mise à mal du critère traditionnel d’originalité aurait pu être évitée, si le législateur avait tout bonnement créé un nouveau régime pour ces nouvelles œuvres au lieu d’écorcher la conception traditionnelle du critère d’originalité réservé aux Arts et cultures.

Ce qui est nouveau est généralement original et inversement, alors malgré les reproches qu’on peut faire à l’égard de cette évolution, il y a bien longtemps que la convention de Berne de 1886 a instauré ce critère universel pour la protection des œuvres littéraires et artistiques ce qui a constitué un « gouffre » désormais exploitable par une nouvelle version des « Arts ».

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Sources :
(1) https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006278873&cidTexte=LEGITEXT000006069414
(2) https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006278879&cidTexte=LEGITEXT000006069414
(3) https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006069414&idArticle=LEGIARTI000006279245
(4) http://eduscol.education.fr/archives/legamedia/fiches/oe-multimedia.htm
Cour d’appel de de Douai, 5 avril 2018, n° 16/04545
Cour d’appel de Paris, 2 février 2021, n° 17/17688
Cour de cassation, 25 juin 2009, n° 07-20.
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/premiere_chambre_civile_568/732_25_13124.html
TGI Lyon, 8 septembre 2016, n° 05/08070

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