PATRIMOINE VIRTUEL ET DECES
/ Février 2023 /
Au décès de l’auteur d’un courriel ou d’un site web se pose une question essentielle : sont-ils des éléments du patrimoine du défunt ? Et si oui quelles sont les conséquences ?
Cependant, à l’ère de nos sociétés numériques, le corps du défunt n’est plus la seule préoccupation. Les utilisateurs laissent, à leur mort, un véritable dossier dans le monde numérique. Ce qui nous conduit inévitablement à nous interroger sur le devenir de l’identité numérique d’un internaute après son décès ?
Les données personnelles s’apparentent à un bien immatériel par conséquent un objet d’un droit de propriété.
En considérant cette appréhension légale des données personnelles après la mort, il est intéressant de s’interroger sur l’évolution ou non de la nature juridique des données personnelles. Cette question trouve un impact évident dans le cadre de l’utilisation aujourd’hui, par les entreprises digitales, du Big Data.
Si la donnée personnelle devient un bien immatériel, cela signifie qu’il peut être appréhendé comme un droit de propriété, objet du commerce, pouvant être cédé ou loué. Or, il est vrai que, objet d’un traitement de données personnelles, la donnée personnelle constitue une véritable richesse pour les entreprises, responsables de traitement.
Mais, en réalité, même si la donnée personnelle possède une valeur indéniable, sa nature juridique demeure attachée aux droits de la personnalité, à la vie privée et au secret des correspondances.
I. Les courriels : élément du patrimoine du défunt ?
Les e-mails sont des données personnelles. En effet, une adresse e-mail permet d’identifier directement ou indirectement une personne physique et par conséquent la collecte et le traitement d’adresse de courriers électroniques doit respecter la Loi Informatique et Liberté de 1978.
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Le compte webmail est une interface Web rendant possible l'émission, la consultation et la manipulation de courriers électroniques depuis un navigateur Web. Ici encore, le respect de la LIL s’impose.
Pourtant, cette Loi ne traite en rien du devenir des données personnelles numériques : que deviennent – elles au décès de la personne concernée ? Sont-elles transmissibles ? Sont –elles vouées à disparaître ?
Cette question ne comporte pas d’enjeux financiers, les héritiers s’attachant ici à la valeur affective des courriers.
Deux thèses s’opposent en la matière : d’une part, certains sont réticents à la transmission de ces données suite au décès (il s’agit notamment des hébergeurs) au motif que cela constituerait une atteinte au respect de la vie privée et au secret des correspondances ; d’autre part, d’autres exigent l’application classique des règles traditionnelles de succession en s’appuyant sur l’analogie avec le devenir des courriers classiques et sur une jurisprudence américaine.
1. La position des hébergeurs : le refus de communiquer les données personnelles
Deux fondements sont susceptibles de justifier le refus de transmission des courriels à la famille du défunt :
- l’article 226-15 du Code Pénal incrimine la violation du secret des correspondances : « Le fait, commis de mauvaise foi, d'ouvrir, de supprimer, de retarder ou de détourner des correspondances arrivées ou non à destination et adressées à des tiers, ou d'en prendre frauduleusement connaissance, est puni d'un an d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende. Est puni des mêmes peines le fait, commis de mauvaise foi, d'intercepter, de détourner, d'utiliser ou de divulguer des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie des télécommunications ou de procéder à l'installation d'appareils conçus pour réaliser de telles interceptions ».
Lorsqu'ils sont commis par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, ces faits sont punis d'une peine de deux ans d'emprisonnement et de 60 000 euros d'amende. » (1).
Or l’arrêt Nikon (Chambre sociale de la Cour de Cassation, 2 octobre 2001) qualifie les e-mails de correspondances privées bénéficiant du secret des correspondances. Cela interdit à toute personnes autres que le destinataire de prendre connaissance des courriels sans le consentement de ce dernier.
Pourtant, ce principe ne peut pas prospérer car à la mort du destinataire, le secret des correspondances ne présente plus aucun intérêt et ne peut plus être invoqué.
- l’article 9 du code civil concerne le droit au respect de la vie privée : « Chacun a droit au respect de sa vie privée ».
Yahoo estime que diffuser de tels messages reviendrait à violer le droit à la vie privée de la personne décédée et de ceux avec qui elle correspondait : « nous avons pris l’engagement pour toute personne souscrivant à Yahoo Mail de traiter sa correspondance électronique comme de la correspondance privée et de respecter la confidentialité des messages » a déclaré la société dans un communiqué.
Or la jurisprudence (Première chambre civile de la Cour de Cassation, 14 décembre 1999, affaire Mitterrand) considère que le droit au respect de la vie privée s’éteint avec le décès de la personne et les vivants sont les seuls titulaires de ce droit. Dans cette espèce, la famille de l’ancien président réclamait réparation de deux préjudices distincts : l’un subi par le mort du fait de la révélation de son état de santé par son médecin le Docteur Gubler et l’autre subi par la famille victime d’une atteinte à la vie privée en tant qu’héritiers du défunt. La Cour de Cassation les a donc déboutés sur le premier point.
Cet arrêt a une portée significative pour ce qui est de la transmission des e-mails à la famille du défunt : le droit à la vie privée s’éteignant au décès de la personne, la communication des messages électroniques relevant de la sphère privée ne peut constituer une atteinte à la vie privée du défunt et par conséquent les hébergeurs ne peuvent être condamnés sur le fondement de l’article 9 du Code Civil.
Dès lors, l’on peut considérer que les e-mails font partie intégrante du patrimoine successoral et leur transmission suit les règles de la dévolution légale.
Cette interprétation est confortée par une jurisprudence américaine ainsi que par le régime applicable aux courriers postaux.
Il est à noter, toutefois, que la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, avait créé l’article 40-1 de la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés et qui avait introduit le droit à la mort numérique. En d’autres termes, toute personne dispose d’un droit pour organiser les conditions d’effacement, de communication ou de conservation de ses données personnelles pour la période suivant son décès.
Cet article a été abrogé par l'ordonnance n° 2018-1125 du 12 décembre 2018. Désormais, c’est l’article 85 de la Loi informatique et liberté de 1978 qui dispose que : « Toute personne peut définir des directives relatives à la conservation, à l'effacement et à la communication de ses données à caractère personnel après son décès. Ces directives sont générales ou particulières (…) ». Par ailleurs, l’article 84 de ladite loi affirme le principe selon lequel les données personnelles « s'éteignent au décès de la personne concernée ».
Ainsi, en cas de défaut de directives de la part la personne décédée, les héritiers de la personne concernée peuvent exercer les droits dont jouissait le défunt sur ses données personnelles quant au règlement et à l’organisation de la succession du défunt ainsi qu’à la prise en compte par le responsable de traitement du décès de ce dernier afin de supprimer ou de mettre à jour les comptes utilisateurs de celui-ci. (2)
2. La transmission des e-mails aux héritiers : la jurisprudence américaine et l’analogie avec les courriers postaux
La question a été posée à la justice américaine. Les parents d’un soldat mort au mois de novembre 2004 en Irak demandaient que leur soient communiqués les courriers électroniques de leur fils défunt. Ce dernier étant détenteur d’un compte Yahoo Mail, la politique de la société interdit de communiquer les mot de passe et contenu à toute personne non détentrice du compte. Le 20 avril 2005, un Tribunal du Michigan a donné suite à la requête des parents, le portail américain devra donc se conformer à la décision de justice.
Aux Etats-Unis, certains fournisseurs d’accès ne sont pas aussi sévères : American On line permet ainsi aux héritiers ou aux proches parents d’une personne disparue d’accéder au contenu de sa boite aux lettre électronique ; il faut pour cela fournir des documents attestant de la proximité du défunt, indique le site News.com. Afin de déterminer les proches en question, il semble préférable de suivre les règles classiques de la dévolution successorale (à savoir, le conjoint survivant et les descendants au premier degré).
Yahoo France, quant à lui, n’a pas encore été confronté à ce type de situation. Yahoo France, a expliqué qu’ « une chose est sûre, nous ne communiquerons aucune donnée sans une injonction du juge ; et même si tel était le cas, quels types d’e-mails pourrait-on communiquer ? Ceux qui ont été ouverts par le titulaire du compte ? Ou bien ceux qui n’ont pas encore été lus ? »
Nous sommes donc dans l’attente d’une décision émanant d’un juge français.
Notons tout de même qu’il serait critiquable d’appliquer un régime différent aux courriers selon qu’ils sont reçus sur support papier ou par voie électronique.
En l’absence de décision venant régler la question, mieux vaut se montrer prévoyant en communiquant son mot de passe en guise de dernières volontés.
Il en va différemment du cas ou l’e-mail contient un élément protégeable par le droit d’auteur (comme un poème par exemple), le message suit alors le régime applicable au site web, régime relevant de la législation sur le droit d’auteur.
3) L’absence de règle en droit du numérique en cas de décès.
Un profil sur un réseau social ou sur un compte de messagerie étant strictement personnel et soumis au secret des correspondances, en l’absence de dispositions légales le permettant, le droit d’accès au profil d’une personne décédée n’était pas transmissible aux héritiers. En l’absence de connaissance de la volonté du défunt, la famille ne pouvait pas avoir accès à ses profils et données personnelles, mais pouvait simplement demander au responsable du traitement une actualisation des données, c’est-à-dire la prise en compte du décès, voir un verrouillage du compte, mais pas sa suppression ni un droit d’accès.
Le 29 mai 2013, la CNIL a d’ailleurs refusé de communiquer les relevés d’appels d’une défunte à ses héritiers, qui souhaitaient connaître la fréquence de ses contacts téléphoniques avec ses médecins. Le 8 juin 2016, le Conseil d’État a confirmé ce refus, considérant que la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ne prévoit « la communication des données à caractère personnel qu’à la personne concernée », et non à ses héritiers. En effet, l’article 39 de la loi de 1978 précise bien que « toute personne physique justifiant de son identité a le droit d’interroger le responsable d’un traitement de données à caractère personnel en vue d’obtenir […] la communication […] des données à caractère personnel qui la concernent » (CE. 8 juin 2016).
II. Le site web et l’application des règles spécifiques au droit d’auteur
Le droit d’auteur est assez souple pour accorder sa protection : pour qualifier un contenu d’œuvre, deux conditions sont exigées : d’une part, la notion d’originalité et d’autre part la forme.
-Tout d’abord l’originalité : c’est une condition qui a été posée par la jurisprudence mais qui n’est pas dans le Code de la Propriété Intellectuelle. La Cour de Cassation est à cet égard assez souple : l’œuvre doit porter l’empreinte de la personnalité de son auteur et un effort créatif doit être manifesté dans l’œuvre. En 2003, la Cour de Cassation applique la protection du droit d’auteur à une œuvre multimédia (un site en l’espèce) qui est interactive.
- Ensuite, la forme : c’est également une création de la jurisprudence. Pour être protégée, l’œuvre doit avoir été exprimée de façon tangible, matérialisée, formalisée. Le site Web dépasse le stade de concept puisque l’œuvre est incorporée dans un support informatique, d’autant que le choix des images, textes(…)ainsi que leur agencement caractérise bien souvent une création originale.
Le site web bénéficie donc de la protection du droit d’auteur et doit des lors obéir à des règles de dévolution successorale spécifiques.
Il faut donc distinguer les droits patrimoniaux du droit moral.
1.La dévolution des droits patrimoniaux
Le patrimoine de l’auteur est transmis à ses héritiers mais il y a une particularité : c’est une transmission temporaire car les œuvres et le droit de propriété sont affectés d’un terme extinctif. L’article L 123-1 indique qu’au décès de l’auteur, le droit d’exploitation persiste au bénéfice de ses héritiers pendant 70 ans et qu’après ce délai, l’œuvre tombe dans le domaine public, ce qui signifie que l’œuvre est utilisable et accessible à tous.
Pour déterminer les successibles, l’arrêt Utrillo applique le droit commun du Code Civil.
A l’exception du droit de suite (L123-7 du Code de la Propriété Intellectuelle), les droits de représentation et de reproduction sont donc dévolus aux héritiers.
2.La dévolution du droit moral
L’article L121-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que le droit moral est perpétuel et transmissible à cause de mort. Cela signifie qu’à la mort de l’auteur ce sont les héritiers qui jouissent du droit au respect de la qualité de l’œuvre, le site ne peut donc être dénaturé sans leur accord.
Le Code de la propriété intellectuelle indique que l’exercice du droit moral peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires ou suivre les règes de la dévolution ab intestat.
Le site web, les e-mails et les comptes webmails font donc partie intégrante du patrimoine du défunt et obéissent donc aux règles classiques applicables aux courriers postaux et aux œuvres matérielles (comme les tableaux…), le respect de la volonté du défunt étant la ligne directrice.
III. Le patrimoine virtuel dans les réseaux sociaux
Avec l’avènement de l’ère numérique, nul ne doute que la question de la mort numérique touche également les réseaux sociaux. Dans une étude publiée par l’Oxford Internet Institute dans le journal « Big data & society » le 23 avril 2019, Carl J. Öhman et David Watson ont estimé, sur le fondement d’une combinaison de données, que d’ici 50 ans, il y’aura plus de comptes sur les réseaux sociaux appartenant à des morts qu’à des vivants.
Selon ces auteurs, le patrimoine virtuel des décédés pourrait, éventuellement devenir un héritage virtuel commun. Ils rajoutent que cela serait bénéfique non seulement pour les historiens mais également pour les générations futures, et ce, dans la mesure où elles pourront mieux appréhender leurs identités et origines.
Toutefois, la plupart des réseaux sociaux contredisent ses prédictions dont notamment Facebook (devenu Meta). A ce titre, l’approche de ces réseaux sociaux diffèrent l’un de l’autre mais tous s’accordent sur la nécessité de produire un certificat de décès et une pièce d’identité pour la clôture éventuelle de ces comptes.
S’agissant de Facebook, ce réseau social offre aux héritiers du défunt deux possibilités : la première est la suppression définitive du compte concerné. Tandis que, la seconde option consiste dans la création d’un compte de commémoration qui permet la conservation du compte de la personne décédée afin que les autres internautes puissent laisser des messages sur le mur de sa page.
Twitter, quant à lui, n’offre que la possibilité de suppression définitive du compte du défunt sous réserve de la présentation des justificatifs nécessaires. Il est à noter que Twitter ne fournit pas les informations de connexion du compte, et ce, même aux héritiers.
Enfin, en dernier exemple, la plateforme Instagram offre également la possibilité de la conversion du compte du défunt en un compte de commémoration, à la différence que, celle-ci adopte des mesures plus rigides afin de protéger la confidentialité du compte en empêchant la diffusion de toute référence à ce compte qui pourrait affecter les proches de la personne décédée. (3)
IV. Solution, l’existence d’un nouveau cadre légal en matière de mort numérique
L’article 63 de la loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique ajoute un article 40-1 à la loi de 1978, créant ainsi un nouveau droit : le droit à la mort numérique. De son vivant, toute personne a désormais la possibilité d’organiser les conditions de conservation, d’effacement et de communication de ses données à caractère personnel après son décès.
Le principe est le suivant : les droits sur les données personnelles s’éteignent à la mort du titulaire, à savoir le droit d’accès, le droit d’opposition, le droit de rectification et enfin le droit de suppression.
Selon le point II, toute personne peut en effet prévoir des « directives relatives à la conservation, à l’effacement et à la communication de ses données à caractère personnel après son décès ». Les directives générales (concernant les données personnelles) sont enregistrées auprès d’un « tiers de confiance numérique certifié par la CNIL » (décret en Conseil d’État à venir), et les directives particulières (relatives aux traitements) sont enregistrées auprès des responsables de traitement. C’est une possibilité, et non une obligation. Ces éventuelles directives, modifiables ou révocables à tout moment, « définissent la manière dont la personne entend que soient exercés, après son décès », les droits sur ses données personnelles. Les directives peuvent désigner une « personne chargée de leur exécution », et à défaut, ce sont les héritiers du défunt qui pourront demander leur mise en œuvre aux responsables de traitement.
Selon le point III, « en l’absence de directives ou de mention contraire dans lesdites directives », les héritiers de la personne décédée peuvent exercer les droits sur ses données personnelles pour des motivations précises : afin de se faire communiquer « des informations utiles à la liquidation et au partage de la succession » ou encore afin d’obtenir la transmission de « biens numériques et les données s’apparentant à des souvenirs de famille ». Les héritiers peuvent également demander la fermeture des comptes utilisateurs du défunt, s’opposer à la poursuite du traitement de ses données personnelles, ou exiger leur mise à jour.
Pour lire une version plus adaptée aux mobiles de cet article sur la protection du patrimoine virtuel, cliquez
Sources :
(1) : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042193573
(2) : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000033219717/2022-01-25; https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000037813987/2019-06-01; https://www.cnil.fr/fr/mort-numerique-effacement-informations-personne-decedee
(3) : https://time.com/5579737/facebook-dead-living/ ; https://www.ox.ac.uk/news/2019-04-29-digital-graveyards-are-dead-taking-over-facebook
4)https://www.lexis360intelligence.fr/revues/Cahiers_de_droit_de_l'entreprise/PNO_RCADE3/document/PS_KPRE-615978_0KT6?q=patrimoine%20virtuel%20&doc_type=doctrine_revue
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