LIEN HYPERTEXTE ET DIFFAMATION

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/ Mai 2021 /

L’émergence d’internet ainsi que des nouvelles techniques de télécommunication ont permis d’accroître les moyens d’expression de leurs utilisateurs. Leur liberté d’expression et leurs possibilités d’échange avec d’autres internautes se sont grandement renforcées.

Cependant cela ne veut pas dire pour autant que ces plateformes sur lesquelles ces communications s’effectuent sont des zones de non-droit.

Au contraire les règles qui s’appliquent dans le monde réel doivent aussi être respectées dans le monde virtuel. Seulement les moyens d’enfreindre la loi ne sont absolument pas similaires dans ces deux univers. Il a donc fallu que la loi s’adapte pour que l’encadrement juridique qu’elle met en place soit toujours respecté.

Ainsi la liberté d’expression est encadrée par un certain nombre de règles qui visent à sanctionner les abus.


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La liberté d’expression est une liberté fondamentale inscrite dans la déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 à l’article 19 : « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre sans considération de frontières les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».

La reconnaissance de cette liberté est accompagnée par quelques restrictions. Ces restrictions sont au nombre de trois : diffamation, injure et dénigrement qu’il ne faut pas confondre, qui ont été reconnues comme des délits de presse.

Seulement certaines situations sont ambiguës et sont à la limite de ce qui est permis par le droit. Ainsi lorsqu’un internaute écrit un article diffamatoire il est clair qu’il est passible de sanctions. Mais lorsqu’un autre internaute recopie le lien hypertexte sur internet permettant d’être redirigé vers la page web de cet article diffamatoire est-ce qu’il peut lui aussi être mis en cause ?

Il est primordial de comprendre les relations entre lien hypertexte et diffamation pour permettre à chaque internaute de savoir si la copie de ce lien peut être diffamatoire.

La diffamation a été définie par la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ».

Un lien hypertexte permet de renvoyer l’internaute à une page web distincte lorsqu’il clique dessus. En évitant aux utilisateurs d’internet d’avoir à connaître et à saisir l’adresse URL de chaque site ces liens sont essentiels au bon fonctionnement de la toile. Mais il faut aussi que les internautes prennent leur précaution, car le fait de copier un lien hypertexte peut engager leur responsabilité notamment pour diffamation.

I/ La reconnaissance de la responsabilité de l’auteur d’un lien hypertexte pour diffamation

A)  Un lien hypertexte considéré comme une reproduction du site diffamatoire

La diffamation sur internet par l’insertion d’un lien renvoyant à un site diffamatoire est un cas beaucoup trop précis et évidemment il n’a pas pu être prévu par la loi qui vise à encadrer les situations générales. Il faut donc se rapporter à la jurisprudence de la Cour de cassation pour comprendre comment sont régis lien hypertexte et diffamation et savoir si la copie de ce lien peut être diffamatoire ?

Dans un premier temps il faut savoir que le délai de prescription lorsqu’un article sur internet est publié est de trois mois à partir de la mise en ligne de l’écrit. Sauf que la plus haute juridiction civile a jugé par un arrêt du 1er septembre 2020 que pour les publications sur papier toute reproduction pouvait être considérée comme une infraction.

Dans ce cas le délai de prescription est fixé au jour de la reproduction. En effet comme le délai court à partir du moment où le message a été mis à la disposition du public, le fait de reproduire ce message permet à nouveau au public d’en prendre connaissance.

Donc même si la deuxième publication n’est qu’une reproduction de la première il faut qu’un nouveau délai de prescription coure, car il s’agit bien de deux documents différents (Crim., 2 novembre 2016, pourvoi n° 15-87.163, Bull. crim. 2016, n° 283, cassation ; crim., 1er septembre 2020 pourvoi n° 19-84.505).

Elle a adopté le même raisonnement pour un lien hypertexte qui constitue une reproduction du premier message diffamatoire. Cette reproduction fait courir un nouveau délai de prescription de trois mois à partir de sa mise en ligne.

Cela permet aux personnes victimes de propos diffamatoires répétés par le moyen de liens hypertextes d’engager des poursuites contre leurs auteurs sans que la prescription de trois mois ne soit un obstacle à leur action judiciaire. Ce prolongement a pour but de mettre fin notamment au cyber harcèlement moral.

B)  Les conditions pour engager la responsabilité de l’auteur du lien hypertexte

Etant donné que la publication d’un lien hypertexte renvoyant à un site sur internet est considérée comme la reproduction de celui-ci, cela permet de faire courir un nouveau délai de prescription. Mais cela permet aussi d’engager la responsabilité de la personne qui a inséré ce lien hypertexte dans son message électronique.

Cependant l’engagement de la responsabilité de l’auteur du lien est soumis à certaines conditions rappelées par l’arrêt du 1er septembre 2020. La Cour de cassation estime que pour déterminer la culpabilité d’un individu pour diffamation il faut savoir si l’auteur du lien a approuvé le contenu du texte ou l’a simplement repris.

En effet il est possible que la personne reprenne le lien du site incriminé sans ajouter d’autres éléments. Dès lors sa responsabilité ne peut pas être engagée. Il est aussi possible qu’il ait fait allusion à ce site pour le contredire. Dans ce cas il ne sera pas mis en cause sauf si par ses propos il commet à son tour une autre infraction.

Par contre s’il approuve le contenu du site diffamatoire alors dans cette hypothèse il peut voir sa responsabilité engagée. Lien et diffamation peuvent donc être liés puisque la reproduction d’un lien peut être diffamatoire.

Mais par cet arrêt du 1er septembre 2020, la Cour de cassation désigne d’autres critères que les juges doivent prendre en compte pour considérer si une personne est coupable de diffamation ou non. Il faut qu’ils sachent si l’auteur savait ou était raisonnablement censé savoir que le contenu litigieux était diffamatoire et s’il a agi de bonne foi.

Les juges doivent ainsi se focaliser sur un faisceau d’indices pour déterminer si la responsabilité de l’auteur du lien doit être engagée. Le fait reproché doit ainsi être contrebalancé par les intentions de son auteur.

 

II/ Les répercussions d’une telle responsabilité de l’auteur d’un lien hypertexte

A)  La préservation de la liberté d’expression

En reconnaissant que lien hypertexte et diffamation peuvent être associés puisque la reproduction de ce lien peut amener à une diffamation, mais sous certaines conditions les juges ont voulu protéger la liberté d’expression.

La possibilité accordée à toute personne d’engager des poursuites s’il est diffamé doit en effet être conciliée avec le droit à l’information qui comprend le droit d’informer et le droit d’être informé.

La victime présumée ne peut donc pas empêcher un individu à simplement vouloir se renseigner sur un fait d’actualité même si cela entraîne la consultation d’un site diffamatoire. La circulation des informations se ferait de manière beaucoup moins libre si le simple fait de faire référence à un site pouvait constituer une diffamation. Cela serait extrêmement dangereux pour la démocratie, car la liberté d’expression serait beaucoup trop restreinte.

La cessation de l’infraction ne sera possible que si celui qui se dit diffamer porte plainte. La justice devra ensuite mener l’enquête pour réunir les preuves de la diffamation et déterminer si le site est diffamatoire ou non. Mais tant que la justice ne s’est pas encore prononcée, le site ne peut pas être fermé. D’autres personnes pourront toujours y faire référence, car si la justice ne rend pas de décision alors il n’est pas possible de savoir s’il est vraiment diffamatoire ou non.

Les juges avaient aussi pour objectif de faire en sorte que la responsabilité de l’auteur du lien ne soit pas trop facilement engagée, car bien souvent il ne peut pas contrôler les informations contenues sur le site auquel il fait référence. Ces éléments peuvent ainsi être modifiés ultérieurement sans qu’il le sache.

B)  Une responsabilité de l’auteur du lien dépendante de celle de l’auteur des propos diffamatoires

L’auteur du lien renvoyant à un site diffamatoire peut encourir certaines sanctions au même titre que l’auteur des propos diffamatoires. L’article 29 de la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose que « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation.

La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ». La diffamation publique est sanctionnée d’une amende pouvant atteindre 12 000 euros. Les relations entre lien hypertexte et diffamation ne sont donc pas anodines et la reproduction de ce lien peut être constitutive d’une infraction d’une certaine gravité.

Il a été jugé que si l’auteur de propos diffamatoires pouvait bénéficier de la bonne foi alors celui qui a reproduit un lien hypertexte redirigeant vers le site qui contenait ces propos peut lui aussi en bénéficier. La reconnaissance de la responsabilité de l’un est donc dépendante de l’autre. Mais il faut que l’auteur du lien ait repris les propos incriminés sans les dénaturer et que de nouveaux éléments depuis la publication du premier article ne soient pas intervenus (crim., 7 mai 2018 N° de pourvoi 17-82 ;663).

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