Le lanceur d’alerte peut être défini comme une personne qui divulgue des informations confidentielles ou sensibles au public dans le but de révéler des activités répréhensibles, illégales, frauduleuses ou dangereuses qui se déroulent dans une organisation ou dans la société en général. Aujourd’hui les lanceurs d’alerte jouent un rôle essentiel dans la transparence et la responsabilité en exposant des pratiques répréhensibles qui pourraient autrement rester cachées.
Irène Frachon et le scandale du Médiator, Edward Snowden et la surveillance d’internet par les États-Unis, Antoine Deltour et les « LuxLeaks », Christopher Wylie et l’affaire « Facebook-Cambridge Analytica », Frances Haugen et les « Facebook Files », etc. (1)
De célèbres lanceurs d’alertes, et d’autres moins médiatisés, ont permis de révéler certaines situations notamment dans les domaines de la santé, de l’environnement, de la Défense, des finances ou de l’internet. Mais, ces actions, qui se multiplient ces dernières années, ont un coût sur le plan professionnel, personnel et financier.
Dans un contexte sociétal qui tend à favoriser la prise de parole, tant dans la sphère privée que dans la sphère publique, et à la lumière des représailles qui pèsent sur ces derniers, le statut des lanceurs d’alerte devait être réévalué.
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Cinq ans après la loi « Sapin 2 », le législateur français a saisi l’occasion de la transposition de la directive européenne du 23 octobre 2019 pour renforcer le statut et la protection des lanceurs d’alerte en France. Promulguée le 21 mars 2022 (L. n° 2022 -401, 21 mars 2022 : JO 22 mars 2022), la loi dite « Waserman » (2) a donc permis d’élever les standards en faveur d’une meilleure effectivité des dispositifs d’alerte au sein des entreprises françaises et ajoute des garanties substantielles non comprises dans la directive. Bien qu’elle se montre favorable à une protection accrue des lanceurs d’alerte, la loi ne néglige pas pour autant les entreprises.
Les innovations de cette loi s’articulent autour de plusieurs thèmes. D’une part, elle apporte des précisions à la définition du lanceur d’alerte et offre un nouveau statut relatif à l’entourage du lanceur d’alerte. D’autre part, elle procède au renforcement des mesures de protection et met fin la hiérarchisation des canaux et redéfinit les obligations pesant sur les entreprises.
En 2016 la France s’était dotée d’un dispositif introduit par la loi Sapin 2 qui a très largement contribué à la réflexion menée au niveau européen. D’une part cette loi obligeait les entreprises de plus de cinquante salariés à se doter d’un dispositif de recueil d’alertes, et d’autre part, elle accordait un statut et une protection aux lanceurs d’alerte. La France a ainsi été l’un des premiers pays à légiférer en la matière, faisant figure de pionnière.
La transposition de la directive européenne a permis de procéder à l’amélioration de la définition certains critères et d’étendre la protection accordée aux lanceurs d’alerte. La loi dite « Waserman » a permis de procéder à la correction de certaines de ses limites mises en évidence par le rapport d’évaluation parlementaire Gauvain-Marleix du 7 juillet 2021.
L’élaboration de la loi Waserman a permis d’ajuster et de préciser les critères de définition d’un lanceur d’alerte. La loi abandonne certains critères au profit d’une définition plus précise qui permet d’éviter toute ambiguïté.
Définition. Est à présent reconnue comme étant un lanceur d’alerte la personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation du droit international ou de l’Union européenne, de la loi ou du règlement.
Conditions pour bénéficier du statut de lanceur d’alerte. Pour rappel, sous l’empire de la loi Sapin 2 le statut de lanceur d’alerte était réservé aux personnes agissant de bonne foi et de manière désintéressée. L’ambiguïté du critère de désintéressement avait causé des difficultés d’interprétation devant les tribunaux. Or, l’objectif premier de cette rédaction était de refuser le statut de lanceur d’alerte à toute personne qui recevrait une contrepartie financière pour procéder au signalement. En ce sens, l’article 1er de la loi du 21 mars 2022 a ainsi clarifié la notion de désintéressement en exigeant désormais que l’auteur du signalement agisse « sans contrepartie financière directe ».
L’ajout du mot « direct » permet toutefois qu’un lanceur d’alerte, non rémunéré pour divulguer une information, puisse recevoir des dons ultérieurement.
Bien que cette nouvelle définition apporte une plus grande sécurité juridique, elle demeure plus restrictive que celle de la directive qui se limite à exiger du lanceur d’alerte qu’il ait « des motifs raisonnables de croire que les informations signalées sont véridiques au moment du signalement », sans restriction liée à l’éventualité d’une contrepartie.
Selon la loi “Sapin 2”, le lanceur d’alerte devait aussi avoir “personnellement” connaissance des faits qu’il signalait. Cette condition est supprimée dans le contexte professionnel. Dans ce cadre, un lanceur d’alerte pourra ainsi signaler des faits qui lui ont été rapportés. Ainsi lorsqu’un salarié signale des faits qu’on lui aurait rapportés, il pourra tout de même bénéficier du statut de lanceur d’alerte. En revanche, conformément à la directive européenne, cette condition est maintenue lorsque les informations n’ont pas été obtenues dans un cadre professionnel.
Alors que la loi Sapin 2 permettait aux seuls membres du personnel et aux collaborateurs « extérieurs et occasionnels » d’effectuer un signalement interne, la loi du 21 mars 2022 étend cette possibilité aux anciens membres du personnel, aux candidats à un emploi, aux dirigeants, actionnaires, associés et tout titulaire de droits de vote au sein de l’assemblée générale de l’entité, aux membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance de l’entité, aux cocontractants et sous-traitants ainsi qu’aux membres de leur organe d’administration, de direction ou de surveillance ou de leur personnel.
En plus d’avoir procédé à une clarification et à un élargissement de la définition du lanceur d’alerte, la loi « Waserman » s’attelle à l’extension du champ de l’alerte. Prévu par son article 1er la loi n’exige plus que la violation soit nécessairement « grave et manifeste », et que la menace ou le préjudice pour l’intérêt général soit « grave ».
Désormais l’alerte peut porter sur la simple tentative de dissimulation d’une violation. Enfin, l’alerte n’aura plus l’obligation de porter sur « un crime ou un délit », mais seulement sur « des informations » portant sur un crime ou un délit.
Cependant il convient de rappeler certains domaines demeurent toutefois exclus (tels que le secret-défense, le secret médical et le secret avocat/client), et ont été complétés par le secret des délibérations judiciaires et le secret de l’enquête et de l’instruction, conformément à la directive.
La loi “Sapin 2” ne prévoyait rien sur l’entourage du lanceur d’alerte. Cette innovation majeure a été introduite par la directive européenne. L’objectif est d’une part, de protéger plus largement le lanceur d’alerte, et d’autre part, d’éviter son isolement.
Ainsi l’article 2 de la loi du 21 mars 2022 scinde l’entourage du lanceur d’alerte en trois catégories.
D’une part les personnes physiques ou morales de droit privé à but non lucratif qui aident un lanceur d’alerte à effectuer un signalement ou une divulgation. Elles sont à présent désignées comme des « facilitateurs » ;
D’autre part les personnes physiques en lien avec le lanceur d’alerte et qui risquent des mesures de représailles dans le cadre de leurs activités professionnelles de la part de leur employeur, de leur client ou du destinataire de leurs services ;
Enfin les entités juridiques contrôlées par un lanceur d’alerte, pour lesquelles il travaille ou avec lesquelles il est en lien dans un contexte professionnel.
Par ailleurs il convient de préciser que la loi française a pris quelques libertés en étendant la définition de facilitateurs aux personnes morales de droit privé à but non lucratif, là où la directive s’en tient aux seules personnes physiques agissant dans un contexte professionnel.
Au-delà des apports juridiques qui permettent de cerner les conditions pour bénéficier de ce régime de protection, les conditions elles-mêmes de la protection ont été améliorées. Elles englobent ainsi la réalité des représailles qui pèsent à la fois sur le lanceur d’alerte, mais également sur ses proches.
Le principe d’interdiction des sanctions et discriminations énoncé par la loi Sapin 2 se concentrait principalement sur des mesures ayant un impact sur la carrière d’un salarié, telles que le licenciement, la formation, la promotion, la rémunération, l’affectation, etc.
Sous l’influence de la directive, la loi du 21 mars 2022 a intégré une liste plus exhaustive de représailles plus subtiles ou indirectes, incluant notamment les atteintes à la réputation de la personne sur les réseaux sociaux, les intimidations, ainsi que l’orientation abusive vers un traitement psychiatrique ou médical. Toute action ou décision liée à l’une de ces mesures sera automatiquement considérée comme nulle.
De plus, conformément à la directive, l’interdiction de prononcer des mesures de représailles s’étend également aux menaces et aux tentatives de recourir à de telles mesures.
Conformément à la directive, l’article 2 de la loi du 21 mars 2022 accorde une protection équivalente à l’entourage du lanceur d’alerte. Elle consacre ainsi l’irresponsabilité civile et pénale, l’interdiction de mesures de représailles à leur encontre, la procédure de référé prud’homale, la possibilité de bénéficier de l’inversion de la charge de la preuve, d’une provision pour frais d’instance, de l’abondement du compte professionnel de formation, de la procédure d’amende civile, etc. L’article 9 de la loi consacre également leur introduction à l’article 225-1 du Code pénal, réprimant ainsi toute discrimination à leur encontre.
La transposition de la directive européenne à travers la loi du 21 mars 2022 a permis de faciliter les signalements ainsi que la protection accordée aux lanceurs d’alerte notamment en prévoyant des aides financières et psychologiques. Elle consacre également la mise en place d’une irresponsabilité pénale et civile du lanceur d’alerte. Ceci dit, cette protection n’est pas absolue puisqu’elle est soumise à certaines conditions.
C’est une des innovations principales de la directive de 2019. Les canaux dont dispose le lanceur d’alerte pour signaler des faits, s’il veut bénéficier d’une protection, sont simplifiés. La loi « Waserman » signe la fin de la hiérarchisation des canaux.
En effet, il convient de rappeler que sous l’empire de la loi « Sapin 2 », les canaux d’alerte étaient hiérarchisés en trois temps. Tout d’abord, un signalement interne devait obligatoirement avoir lieu. Autrement dit, le lanceur d’alerte devait nécessairement passer par son entreprise ou son administration afin de signaler des faits dont il avait connaissance.
Ensuite, et seulement en l’absence de traitement, un signalement externe pouvait avoir lieu auprès d’une l’autorité administrative ou judiciaire ou d’un ordre professionnel.
Le lanceur d’alerte pouvait donc uniquement procéder à une divulgation publique en dernier recours.
Cette hiérarchisation posait de nombreuses difficultés. Des risques de pressions ainsi que de représailles ont été déplorés à la suite des signalements effectués en interne. Par ailleurs, la procédure de signalement externe était complexe et peu connue.
Désormais le lanceur d’alerte pourra choisir entre le signalement interne et le signalement externe à l’autorité compétente, au Défenseur des droits, à la justice ou à un organe européen. Un décret déterminera plus précisément la liste de ces autorités. Ces autorités devront traiter les signalements dans des délais qui seront également fixés par décret, mais qui ne pourront être supérieurs à ceux fixés par la directive, à savoir un délai de 7 jours pour accuser réception et de 3 mois (6 mois dans des cas dûment justifiés) pour traiter l’alerte.
Le choix d’un signalement en interne ou externe est à présent laissé au lanceur d’alerte puisque la loi met fin à l’ordre prédéfini à suivre lors d’un signalement. Rappelons tout de même que l’article 7 de la directive encourage le signalement en interne pour commencer.
Cependant certains auteurs soulignent les risques que cette nouvelle organisation fait peser sur les entreprises « Outre le risque d’antagoniser davantage les relations entre les salariés et l’entreprise, la fin de la hiérarchisation des canaux emporte avec elle un risque majeur pour les entreprises. Ces dernières seront privées de la primeur d’être informées en premier lieu d’éventuels dysfonctionnements en leur sein, d’enquêter sur les faits allégués et d’y remédier au plus vite, voire d’informer elles-mêmes les autorités en cas de faits graves afin de bénéficier d’une clémence en cas de résolution négociée. De manière plus générale, elle les expose au risque de dénonciations publiques par des salariés malintentionnés, qui serait hautement préjudiciable en termes de réputation. En somme, la nouvelle loi oblige les entreprises à redoubler d’efforts pour mettre en place des dispositifs d’alerte internes robustes, sophistiqués et incitatifs sans aucune garantie qu’ils soient utilisés par leurs salariés. Or, le dispositif d’alerte se situe au cœur du programme de conformité de l’entreprise et en constitue la colonne vertébrale. Un dispositif d’alerte efficace est un dispositif qui permet de remonter beaucoup d’alertes et à l’entreprise ultimement d’améliorer ses procédures internes afin d’éviter que les faits ne se reproduisent. » (3)
Cependant, force est de constater que la nouvelle loi ne prévoit aucune sanction en cas d’absence de dispositif interne.
A présent l’alerte publique pourra intervenir dans trois cas. Tout d’abord, le lanceur d’alerte pourra recourir à une divulgation publique s’il constate l’absence du traitement de son signalement externe dans un certain délai. Cette alerte pourra également être justifiée en cas de risque de représailles ou si le signalement n’a aucune chance d’aboutir ou enfin en cas de “danger grave et imminent” ou, pour les informations obtenues dans un cadre professionnel en cas de “danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général”.
Par ailleurs une protection supplémentaire a été accordée aux personnes qui effectueraient un signalement ou une divulgation publique anonyme, mais dont l’identité serait révélée, comme les journalistes, d’obtenir le statut de lanceur d’alerte. Cette mesure s’inscrit dans le sens de la protection des sources.
La loi entend également limiter le coût financier, parfois considérable, des procédures que doivent engager les lanceurs d’alerte. En début de procès, le juge pourra accorder une provision pour frais de justice au lanceur d’alerte qui conteste une mesure de représailles ou une procédure “bâillon” à son encontre (comme une plainte pour diffamation destinée à intimider et réduire au silence le lanceur d’alerte). Le juge peut aussi allouer une provision au lanceur d’alerte dont la situation financière s’est gravement dégradée. Ces provisions peuvent devenir définitives à tout moment, c’est-à-dire même si le lanceur d’alerte perd son procès.
L’amende civile encourue en cas de procédure “bâillon” contre un lanceur d’alerte est portée 60 000 euros. Il convient de souligner que l’amende civile n’est pas incompatible avec l’octroi de dommages et intérêts au lanceur d’alerte.
Enfin, les lanceurs d’alerte pourront bénéficier de mesures de soutien psychologique et financier par les autorités externes, qu’elles aient été saisies directement ou via le Défenseur des droits.
L’article 6 de la loi du 21 mars 2022 consacre le principe d’irresponsabilité civile du lanceur d’alerte en ce qui concerne les préjudices découlant de sa divulgation d’informations effectuée de manière de bonne foi. Ainsi, si le lanceur d’alerte avait des motifs raisonnables de croire que le signalement ou la divulgation publique des informations était nécessaire pour protéger les intérêts en question, il ne pourra pas être tenu responsable des dommages causés par ces actions.
La loi Sapin 2 consacrait l’exonération de responsabilité pénale du lanceur d’alerte en cas de divulgation d’informations portant atteinte à un secret légal. La loi « Waserman » étend cette exonération aux actes de soustraction, de détournement et de recel de documents confidentiels, à condition que le lanceur d’alerte ait obtenu légalement l’accès aux informations contenues dans ces documents. En d’autres termes, si le lanceur d’alerte signale des faits auxquels il a eu accès en effectuant des écoutes sur des membres de la direction, ou en accédant à des dossiers informatiques restreints, sa responsabilité pénale pourra toujours être engagée.
L’instauration de cette condition de licéité dans l’obtention de l’information vise à assurer un meilleur équilibre entre droits des lanceurs d’alerte et protection des entreprises et, ainsi, éviter d’encourager des salariés mal intentionnés à commettre des infractions sans être inquiétés.
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