Peut-on librement détourner le détournement d’une œuvre d’art ? C’est la question sur laquelle la cour d’appel de Paris a eu à se pencher dans cet arrêt du 30 septembre 2022 (1).
En l’espèce, l’œuvre détournée était l’iconique Joconde de Léonard de Vinci qui avait été reprise par Pierre-Adrien Sollier, un artiste peintre s’inscrivant dans le geek art, courant artistique ludique et inspiré par la pop culture. Le travail de cet artiste consiste à adapter de grands tableaux de l’histoire de l’art en remplaçant les personnages par des figurines Playmobil.
En 2018, M. Sollier a constaté que sa version de la Joconde Playmobil avait été reprise dans l’œuvre d’un autre artiste. Ce dernier, qui se revendique du pop art, avait créé un tableau comprenant neuf vignettes correspondant à différentes versions comiques de la Joconde, représentée en Playmobil, mais aussi à la façon des Simpsons, de Super Mario, etc. Estimant qu’il s’agissait d’une contrefaçon de ses droits d’auteurs, le créateur de la Joconde en Playmobil a alors assigné le second artiste et sa galerie en 2019 devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Paris.
Par une décision rendue en 2020 (TJ Paris, 3 déc. 2020, n° 19/06289), le tribunal judiciaire a rejeté les demandes du premier artiste au motif que son œuvre, la Joconde revisitée en Playmobil, était dénuée d’originalité. La cour d’appel devait donc décider, d’abord, si le tableau détournant la Joconde était original et, ensuite, si sa reprise dans un cadre artistique constituait un acte de contrefaçon.
Pour la cour d’appel de Paris, un tableau détournant la Joconde en remplaçant le personnage par une figure Playmobil est original. La réutilisation de cette œuvre protégée dans un but artistique appropriationiste ne relève pas de l’exception de parodie et constitue bien une contrefaçon.
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En première instance, les débats concernant l’originalité du tableau en cause ont porté sur sa date de création. Le demandeur datait sa divulgation au public à une exposition organisée en 2011 et avançait qu’elle résultait d’un long travail de création préalable.
Les défendeurs, quant à eux, soutenaient que le tableau n’avait été diffusé qu’en 2013 lors de sa présentation sur la page Facebook de l’artiste peintre. Ils avançaient donc que le tableau de la Joconde Playmobil avait été créé postérieurement à la publication d’une œuvre similaire : une photographie représentant la Joconde en Playmobil publiée dans l’ouvrage Playmobil. Le tour du monde paru en octobre 2010. Le tribunal judiciaire avait fixé la date de diffusion du tableau en 2013 et avait retenu son absence d’originalité.
Au contraire, la cour d’appel rappelle utilement qu’en droit d’auteur, l’éventuelle nouveauté n’a pas d’incidence sur l’originalité d’une œuvre. Tout en considérant que l’artiste peintre a réussi à démontrer que l’œuvre avait été divulguée dès 2011, la cour affirme que « la notion d’antériorité est […] inopérante en droit d’auteur » et partant, que « le débat sur la date de création […] est indifférent ».
Ainsi, il n’y a pas lieu de se préoccuper de l’antériorité de la création du tableau en cause par rapport à la publication de la photographie de l’ouvrage « Playmobil – Le tour du monde ».
Il reste donc à établir si le tableau, par ses caractéristiques propres, est original. En l’occurrence, la cour relève d’une part que M. Sollier a effectué des choix arbitraires et esthétiques qui distinguent son œuvre de la photographie publiée dans Playmobil. Le tour du monde.
D’autre part, elle remarque que, si l’artiste peintre a repris des éléments existants – le tableau de Léonard de Vinci, la figure Playmobil –, il les a combinés dans une œuvre dont l’aspect global est particulier et « traduit un parti pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur ». La juridiction en déduit que le tableau de la Joconde Playmobil est bien une œuvre originale.
Cette décision n’a rien de surprenant. Elle s’inscrit dans une jurisprudence établie en matière d’arts appliqués qui considère que des éléments connus sont susceptibles d’être combinés de façon à conférer une originalité à l’ensemble (2).
Dans le domaine des beaux-arts, cette acception de l’originalité est certes moins courante, mais elle peut être rapprochée du raisonnement adopté par la Cour de cassation dans la célèbre affaire Paradis (3).
D’ailleurs, la cour d’appel de Paris avait déjà, en 2020, condamné une exploitation viticole pour la reproduction contrefaisante de certaines œuvres de M. Sollier, dont la Joconde, sur des barriques de vin (Paris, 17 janv. 2020, n° 18/20593, Légipresse 2020. 149 et les obs.).
Par des motifs très similaires à ceux de l’espèce, la juridiction avait estimé que, si les éléments utilisés par l’artiste n’étaient pas originaux pris séparément puisqu’« ils appartiennent au fonds commun de l’univers du détournement d’objets, œuvres célèbres ou figures culte », en revanche, leur agencement dans un tableau considéré de façon globale révélait l’empreinte de la personnalité de son auteur.
Après avoir établi l’originalité de l’œuvre, la cour d’appel doit se prononcer sur l’existence d’un acte de contrefaçon. En l’espèce, les intimés reconnaissent l’utilisation de l’œuvre protégée, la Joconde Playmobil, pour la réalisation d’un nouveau tableau. En revanche, ils contestent tout acte de contrefaçon.
Se prévalant d’un argument devenu classique depuis l’arrêt Klasen de 2015 (4), ils avancent que l’œuvre a été reprise dans le cadre d’une démarche artistique appropriationiste et que le droit à la liberté d’expression et de création artistique du second créateur, protégé par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, doit prévaloir face au droit d’auteur du premier créateur.
La cour d’appel écarte très succinctement cet argument en affirmant simplement, et sans effectuer de contrôle de proportionnalité, que « les intimés ne font pas utilement valoir les dispositions de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».
Immédiatement à la suite cette conclusion, la juridiction renvoie aux exceptions légales au droit d’auteur, l’exception de parodie en particulier, censées assurer l’équilibre entre liberté d’expression et droits exclusifs, en exposant : « la combinaison de cette liberté fondamentale [la liberté d’expression] et des droits exclusifs conférés par les dispositions protégeant la propriété intellectuelle conduit à prévoir des exceptions aux droits exclusifs des titulaires de droit d’auteur qui sont limitativement énumérés à l’article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle telle l’exception de parodie ».
Cette formulation nous renvoie à un débat connu : l’équilibre entre liberté d’expression et droit d’auteur est-il assuré uniquement de manière interne par le mécanisme des exceptions limitativement prévues, ou l’article 10 de la Convention européenne peut-il permettre au juge d’effectuer une balance.
Or, depuis l’arrêt Klasen précité, on sait que, si les exceptions contribuent évidemment à garantir la liberté d’expression, un juge peut aussi, et de façon distincte à la logique des exceptions, être amené à exercer un contrôle de proportionnalité pour vérifier si l’exercice des droits exclusifs d’un auteur ne cause pas une atteinte disproportionnée au droit fondamental à la liberté d’expression d’un autre créateur. Les motivations de la cour d’appel, tel qu’elles sont rédigées, mêlent donc de façon quelque peu confuse exceptions et libertés fondamentales.
Poursuivant son raisonnement, la cour d’appel examine ensuite l’exception de parodie. Elle relève d’abord que le nouveau tableau incorpore l’œuvre protégée sans la modifier, puis que le second artiste a voulu, dans sa création, parodier la Joconde originelle de Léonard de Vinci et non pas la Joconde détournée par Pierre-André Sollier.
Pour ces deux raisons, la cour conclut que l’utilisation, en l’espèce, de la Joconde Playmobil ne bénéficie pas de l’exception de parodie. Sur ce point, la décision est similaire aux arrêts rendus par la même juridiction concernant un autre artiste appropriationiste, Jeff Koons (Paris, 17 déc. 2019, n°152/2019, Dalloz actualité, 6 mars 2019, obs. J.-M. Pastor; 23 févr. 2021, n° 19/09059, Dalloz actualité, 12 mars 2021, obs. O. Wang ; D. 2021. 1442, obs. J.-C. Galloux et P. Kamina ; RTD com. 2021. 818, obs. F. Pollaud-Dulian ).
Dans ces décisions condamnant Jeff Koons, la cour notait bien qu’une parodie devait évoquer une œuvre clairement identifiable par le public. Dans le cas présent, ce critère n’est pas rempli puisque l’œuvre évoquée est la Joconde de Léonard de Vinci, mais pas la Joconde Playmobil, qui est pourtant l’œuvre directement utilisée.
Enfin, deux autres arguments avancés par les intimés sont rejetés rapidement. D’une part, le fait que le second artiste crée lui aussi une œuvre originale dont il est l’auteur n’a pas d’effet sur les droits de l’auteur de l’œuvre première ni sur la qualification de contrefaçon. D’autre part, le fait que l’auteur de l’œuvre première puisse lui-même reprendre d’autres œuvres est sans incidence sur le conflit présent puisque les intimés ne sont pas fondés à se prévaloir de droits de tiers.
La cour d’appel de Paris condamne donc les intimés pour contrefaçon, retenant une atteinte aux droits patrimoniaux de l’auteur de l’œuvre première ainsi qu’à son droit moral.
Sources :
Ophélie Wang, Docteure en droit : Droit d’auteur : contrefaire une parodie n’est pas une parodie
Paris, pôle 5, ch. 2, 30 sept. 2022, n° 20/18194
Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 10 avril 2019, 18-13.612, Inédit – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 13 novembre 2008, 06-19.021, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 15 mai 2015, 13-27.391, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
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