CONTRAT DE LICENCE D'UN LOGICIEL
La licence concédée sur un logiciel fait aujourd’hui partie des contrats les plus utilisés. Pourtant il s’agit d’un contrat dont la nature juridique est pleine d’ambiguïté. Beaucoup y voit un contrat à la fois proche de la vente et proche de la location .
Pourtant la nature juridique d’un contrat a pour conséquence d’en déterminer une partie du régime applicable du fait des règles d’ordre public qui y sont attachées. De plus un contrat nommé possède un ensemble de règles supplétives qui permet d’éviter les écueils des imprécisions contenues dans les contrats.
Il y a donc un enjeu pratique à essayer de déterminer quelle est la nature juridique du contrat de licence de logiciel.
Pour rappel, les logiciels et programmes d’ordinateur ont commencé à se développer à partir des années 60. On s’est dès lors posé la question de savoir par quel biais protéger ces créations. C’est de cette interrogation que découlera le contrat de licence d’un logiciel.
Après plusieurs hésitations, notamment au regard du droit des brevets et de la possible ouverture d’un droit sui generis sur la question, la Cour de cassation, en assemblée plénière, a tranché en affirmant que c’est bien le droit d’auteur qui les protège (Arrêt Pachot, 1986), décision allant dans le sens de la loi Lang d’ailleurs qui, un an plus tôt, intégrait les logiciels à la liste des œuvres de l’esprit.
De fait, le contrat de licence d’un logiciel est un contrat qui, par définition, permet au titulaire du droit d’auteur sur le logiciel de définir avec le cocontractant les conditions dans lesquelles ledit programme pourra être exploité ou non.
Attention, la nature des contrats de licences de logiciels peut varier. En effet, Il est possible d’y voir soit une vente soit une location. Les deux natures peuvent coexister, car il est impératif de faire une distinction entre logiciel standard d’une part et logiciel spécifique d’autre part.
Il est possible d’y voir soit une vente soit une location. Les deux natures peuvent coexister car il est impératif de faire une distinction entre logiciel standard d’une part et logiciel spécifique d’autre part.
Un logiciel spécifique est un programme spécialement développé pour les besoins d’une entreprise. Il a pour objet de répondre aux demandes particulières d’un client, ce qui est par conséquent incompatible avec une diffusion dans le grand public. Il fait généralement l’objet d’un contrat de commande que la doctrine analyse en un contrat de louage d’ouvrage.
Le logiciel standard, au contraire, a pour but d’être diffusé dans le grand public. Il n’est donc pas conçu pour répondre aux besoins spécifiques des clients mais pour réaliser certaines taches bien définies (traitement de texte, tableur…).
Il faut noter qu’a priori la séparation entre les deux types de logiciel n’est pas étanche. Un logiciel standard peut faire l’objet de développements spéciaux destinés à l’intégrer dans un environnement déterminé mais il devient par la même plus ou moins spécifique. Nous retiendrons donc une distinction assez schématique avec d’un côté les logiciels standards et de l’autres les logiciels spécifiques, en supposant qu’ils ne se confondent pas.
Nous analyserons donc d’une part la nature de la licence de logiciel standard avant de voir celle des logiciels spécifiques
I) Le logiciel standard
Il faut tout d’abord précisé que le logiciel est une œuvre au sens du droit de la propriété intellectuelle et qu’il ne doit pas être confondu avec son support matériel, qui a d’ailleurs tendance à se dématérialiser de nos jours.
La nature juridique de la licence de logiciel standard peut être considérée comme une vente, à condition que les droits intellectuels liés à l’œuvre en soient exclus (ce qui est toujours le cas pour les logiciels standard).
La doctrine a été très partagée sur la nature de ce contrat. Certains y ont vu un contrat d’entreprise, ou encore une combinaison entre une vente du support et une location sur le programme qui y est contenu.
Le problème de cette dernière hypothèse est qu’elle ne se rattache à la réalité que de façon artificielle. En effet c’est le contenu, donc l’outil logiciel, et non le support que le client a en vue lorsqu’il réalise l’opération. Il est donc peu réaliste de distinguer deux régimes dans l’opération, l’un étant très accessoire à l’autre.
En réalité le logiciel standard peut faire l’objet d’un nombre réduit de qualifications. Il peut s’agir d’une vente, d’une location ou d’un contrat sui generis.
Il paraît logique de qualifier le contrat de « vente » dès lors qu’il porte sur la remise d’une chose (ici un exemplaire de l’œuvre logiciel) qui fera l’objet d’une délivrance (« recette » en droit de l’informatique) moyennant le paiement d’un prix forfaitaire, sans que le contrat ne contienne de limitation dans le temps.
Or c’est le cas lors d’un contrat portant sur un logiciel standard. Cela correspond parfaitement au schéma juridique de la vente.
Il peut tout aussi bien s’agir d’une location si le contrat comporte une limite de temps et qu’il n’y a pas de transfert de propriété.
Il n’y a aucune raison que le logiciel, qui selon le droit de la propriété intellectuelle est une œuvre au même titre qu’un roman ou qu’une mélodie, suive un régime différent.
En effet il ne fait aucun doute qu’un exemplaire du logiciel standard, tout comme l’exemplaire d’un livre, est l’objet d’une vente. Il faut cependant garder à l’esprit qu’en droit l’œuvre ne se confond jamais avec son support matériel.
Les enjeux de la qualification de vente ne sont pas anodins. Tout d’abord la qualification de vente entraîne une garantie des vices cachés d’ordre public. Elle ne peut donc pas être exclue par le vendeur. Dans un contrat sui generis le « concédant » pourrait limiter plus largement sa responsabilité.
L’enjeu principal reste le transfert de propriété. La vente permet à l’acquéreur de devenir propriétaire de l’exemplaire de l’œuvre. Il peut donc en disposer librement, notamment en le revendant.
C’est une réalité bien connue pour les jeux vidéo (qui sont des logiciels standards) où il existe un marché de l’occasion très développé, ce qui ne serait pas possible si le contrat portant sur ces logiciels n’était pas, en fait, une vente.
La jurisprudence tend à pencher pour une qualification de vente car elle en applique le régime. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a par exemple le 21 mai 1997 considéré qu’un logiciel contaminé par un virus entraînait l’application des articles 1641 et suivants du code civil, ce qui correspond à la garantie des vices cachés.
Le droit communautaire penche aussi en faveur de la qualification de vente puisque la directive du 14 mai 1991 concernant la protection des programmes d’ordinateur parle dans son article 4 de la première « vente » de logiciel.
Cette article concerne l’épuisement des droits, ce qui a pour but de permettre la libre circulation des œuvres objets de droit de propriété intellectuelle, mais qui permet aussi de garantir la libre cessibilité des exemplaires de logiciels, ce qui va dans le sens de la qualification de vente.
Il semble donc que le contrat portant sur un logiciel standard doit être qualifié de vente ou de location s’il est d’une durée limitée, ce qui permet l’application d’un régime juridique stable et bien connu de tous, ce que ne permet en aucun cas la qualification de contrat sui generis.
II) Le logiciel spécifique
Le logiciel spécifique est bien différent du logiciel standard. Il est souvent le fruit d’un contrat d’entreprise (ce qui règle la question de la présence d’une vente) et il n’y a souvent qu’un nombre réduit d’exemplaires. Les enjeux de la qualification sont de plus moins importants que pour le logiciel standard.
Il est possible d’hésiter entre une qualification de location et une qualification là encore de contrat sui generis. Or dans la location il n’y pas de problème quant à la libre cessibilité.
Certains voient dans la licence de logiciel spécifique une location. La location est un contrat qui a pour caractéristique de permettre la jouissance d’une chose, matérielle ou immatérielle, contre rémunération (dans le cas contraire il s’agira alors d’un prêt à usage), pendant une certaine durée.
La licence a bien pour objet de permettre la jouissance du logiciel contre une rémunération et elle est souvent accompagnée d’une durée déterminée. A priori cela semble correspondre au contrat de location. Cependant les contrats de licence ne prévoient pas toujours une durée déterminée, est-ce alors incompatible avec la qualification de location ?
Une licence connaît toujours une durée limitée. Elle est intrinsèque aux droits d’auteurs. En effet ceux-ci durent 70 ans à compter de la mort de l’auteur ou de la divulgation s’il s’agit d’une œuvre collective (ce qui est le cas la plupart du temps). Il est possible, dès lors d’avancer qu’une licence, conclue pour une durée indéterminée, a en fait une durée limitée implicite égale à la durée de protection.
Le contrat de licence de logiciels spécifiques a souvent pour objet de permettre la jouissance paisible, dans des conditions déterminées, de l’outil logiciel. Souvent les prérogatives sont limitées. Ce qui correspond à la location.
Par exemple l’article L 121-7 du code de la propriété intellectuelle permet à l’auteur du logiciel de se réserver les droits d’opérer des modifications, donc d’assurer la maintenance.
En pratique il n’est pas rare que les licences de logiciels soient doublées d’un contrat de maintenance réservant cette prestation à la société éditrice du logiciel.
Ce type de licence semble approprié à la qualification en location, car il s’agit en fait « d’un droit de créance de jouissance paisible » sur la chose, en l’espèce le logiciel.
Le contrat de licence de logiciel spécifique est souvent passé entre sociétés commerciales, de sorte que la liberté contractuelle est alors large, le droit de la consommation n’ayant pas vocation à s’appliquer, ce qui n’est pas le cas dans les logiciels standards qui sont destinés pour une majeure partie d’entre eux à des particuliers, donc à des consommateurs.
Il est donc possible de rédiger un contrat s’adaptant parfaitement à la qualification de location, même si les parties ne désirent pas inclure une durée déterminée. La qualification de contrat sui generis peut aussi être retenue.
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